Globicyclette au Laos

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CARNET 1

Globicyclette sédentaire

 

 

Sabaidee, amis voyageurs!
Un asiatique nous a dit un jour : « Vous verrez, les pays d'Asie du Sud-Est sont proches mais culturellement tout à fait distincts. On raconte qu'ici, les Thaïlandais plantent le riz, les Cambodgiens le regardent pousser, et les Laotiens... l'écoutent!»
Nous voici donc aux portes du pays le plus nonchalant d'Asie, le « Royaume du Million d'Eléphants » et de la douceur de vivre... On sent déjà que ça va nous plaire ; vous nous accompagnez ?

 

 

 


6 novembre : premiers coups de pédale au Laos

 
C'est par la frontière thaïlandaise au sud de Vientiane, la capitale, que nous entrons au Laos. Plus précisément, par le « Pont de l'Amitié » qui traverse le fleuve-frontière du Mékong. Il faut avouer que ça fait tout de même quelque chose, de pédaler au-dessus de ce fleuve mythique qui restait pour nous jusqu'ici, l'apanage des films hollywoodiens et des documentaires... C'est dans ces moments-là qu'on réalise soudain que nous y sommes vraiment, au bout du monde...

Et d'ailleurs, nous n'y sommes pas les seuls : alors que nous faisons la queue au poste-frontière pour les visas, deux autres cyclistes arrivent. Nous faisons la connaissance d'Armelle et Gérald, deux français qui font comme nous le tour du monde , à la recherche des musiques et des danses traditionnelles de tous les pays (allez faire un tour sur leur site web : http://www.asieendanseuse.com/). Eux font simplement un aller-retour administratif : une sortie/rentrée au Laos pour obtenir un mois supplémentaire de visas. Nous y aurons aussi recours par la suite ! Du coup, ils connaissent déjà le trajet, et c'est avec eux que nous effectuons la vingtaine de kilomètres qui nous sépare de Vientiane.
« Vous allez voir, Vientiane, ce n'est pas Bangkok, loin de là ! C'est finalement presque un village... ».

Effectivement, nous découvrons une ville de petite taille, dans tous les sens du terme: un décret interdit en effet d'y faire construire des bâtiments plus hauts que le Pha That Luang, le monument national qui trône à la fois sur la ville et sur le drapeau... ce qui limite à environ quatre étages l'ensemble des habitations, et renforce l'aspect villageois de la capitale.

On ressent aussi fortement l'héritage colonial: l'architecture reste très « française », et si l'on omet les habitants et les panneaux incompréhensibles, nous pourrions presque nous imaginer dans une petite ville de métropole !

D'autant que nous ne tardons pas à découvrir un autre descendant de la présence française : le «Sand-ich pâ-thé » (voilà, vous parlez déjà laotien !). Armelle et Gérald nous introduisent à ce qui est pour nous, exilés de longue date, un véritable petit bonheur : une baguette de pain (une baguette!!) généreusement fourrée de pâté et de crudités diverses, que des petits stands proposent à peu près tous les cinquante mètres. Exactement ce dont nos ventres creux avaient besoin !

Mais, pour une fois, nous ne sommes pas ici pour faire du tourisme : une fois le sandwich dévoré, nous faisons nos adieux à Armelle et Gérald. Nous avons rendez-vous avec Hervé, le responsable de l'association humanitaire où nous allons travailler, et que l'on a prévenu par téléphone de notre arrivée : « Ne bougez pas, je viens vous chercher en camionnette, sinon vous aurez du mal à trouver! ».
Ce n'est finalement pas plus mal, car la nuit tombe... Nous retrouvons Hervé devant les petits restaurants qui bordent les rives du Mékong : lampions, musique, le coin est animé ! Et le voici, avec un sourire aussi grand que doux : « Bienvenue au Laos ! Montez, je vous amène chez vous ! »

 


Novembre – Décembre 2009 : Globicyclette fait la classe

 

Et c'est le début d'une partie un peu particulière de notre voyage : deux mois que nous souhaitions consacrer à une action humanitaire dans l'un des pays traversés. Nous les passerons ici, au Laos, dans l'association EranLao dont nous avions trouvé le site web au hasard de nos recherches sur internet. Nous cherchions une structure à petite échelle, loin de la hiérarchie souvent labyrinthique et rigide des grandes ONG, et EranLao y répondait parfaitement.

Cette association toute jeune ne compte pour le moment sur le terrain que deux membres : Hervé, son fondateur, et Toun, sa ravissante femme d'origine laotienne. Ajoutons peut-être aussi Noa, leur tout jeune fils d'un mois ! L'association est basée à Ban Paket, un minuscule village à un vingtaine de kilomètres au nord de Vientiane, perdu au milieu des rizières.

Parmi les différentes actions qu'ils sont en train de mettre en place, ils souhaitaient fournir aux enfants du village un enseignement de français qui ne leur est pas apporté par l'école locale, aux enseignements très limités. Seules les écoles privées dispensent en effet ce privilège, qui pourtant ouvre les portes d'une éducation supérieure. Nous voici donc nommés professeurs de français ! Les cours sont, bien entendus, gratuits, mais non obligatoires, et se font le matin avant le reste des enseignements. Nous pensions que ce surplus quotidien de travail risquait de rebuter la plupart des enfants, mais c'était mal connaître leur soif d'éducation : si au premier cours, ils sont une trentaine, le lendemain les voilà 50 puis 80 !

Tous veulent apprendre et nous ne pouvons pas leur refuser l'entrée : nous faisons donc deux classes, Olivier aura les grands, et Amanda les petits. Toun, recrutée elle aussi, navigue entre les deux pour assurer une traduction minimale, c'est que les enfants ne parlent que laotien et nous... pas encore !

Mais on se débrouille et avec des posters, beaucoup de dessins, des mimes et l'aide précieuse de Toun, les enfants se mettent à prononcer quelques mots, des phrases, et apprennent petit à petit leur alphabet (rappelons que l'alphabet laotien n'a absolument rien à voir !). Nous ferons même quelques chansons !
Les enfants ont entre 5 et 13 ans, et sont incroyablement sages et travailleurs : de quoi faire pleurer de bonheur incrédule n'importe quel instituteur français ! Peu à peu, nous faisons la connaissance de chacun. Toun nous explique que la plupart habitent dans des cases assez éloignées du village, sans eau ni électricité, et qu'ils doivent parfois marcher presque une heure pour se rendre au cours. Nous devenons soudain moins à cheval sur leur ponctualité souvent douteuse : pour un cours qui commence à 7h, ils se lèvent à 5h du matin ! « En plus, les grandes sœurs doivent aussi élever les plus petits et préparer à manger pour toute la famille avant de partir pour l'école ». Sans faire dans le larmoyant , on regarde avec un nouveau respect ces petits bouts de chou courageux , « mères de famille » à huit ans qui s'excusent avec désolation quand leur petit frère n'a pas bien écrit sa ligne de « A ».

À chaque début de cours nous avons droit à « bonjour Madame, bonjour Monsieur » et souvent quelques enfants viennent timidement déposer un fruit ou un biscuit sur notre bureau : « cadeau pour vous ! ». (petite pause pour laisser nos confrères instits se reprendre).

Bref, un vrai bonheur. Nous mettons aussi en place un cours pour les adultes du village, moins nombreux mais tout aussi motivés. Eux, ils connaissent déjà l'alphabet, alors ça va tout de suite plus vite. Mais les affres de la conjugaison, du genre des noms et des articles leur donnent du fil à retordre : que c'est compliqué, le français ! Entre les cours, nous préparons les cahiers d'écriture des élèves, nous réalisons de beaux posters colorés et nous aidons aussi Hervé et Toun à bâtir la structure d'accueil de leur association. Pour le moment, nous logeons dans leur chambre d'amis et faisons la classe à l'école du village, mais Hervé a commencé la construction de deux salles de classe et de bungalows devant sa maison : à nos heures perdues, nous devenons peintres en bâtiment ! Les bungalows permettront l'accueil des futurs bénévoles, à commencer par celle qui prendra le relais des cours à notre départ. Inutile de dire que ce changement de rythme nous a fait tout drôle. Sous l'effet de l'hospitalité généreuse de Toun et Hervé, nous redécouvrons le luxe de dormir dans un lit tous les soirs, de la douche (chaude !!) quotidienne, de l'électricité, et surtout... de vrais repas équilibrés!

Il faut dire que nous sommes particulièrement gâtés sur ce point : avant de rencontrer Hervé, Toun était cuisinière dans le restaurant de sa mère (l'un de ceux du bord du Mékong !). Et elle semble avoir décidé de poursuivre le restaurant à la maison ! Tous les jours, nous avons droit à de merveilleux petits plats laotiens, parfois agrémentés d'une touche de cuisine occidentale : Toun trouve son inspiration dans les émissions de cuisine de la TV5 (la télévision française à l'étranger), et ses créations culinaires mériteraient bien quelques étoiles !

Nous sommes donc terriblement gâtés et même si, avouons-le, le pédalage nous manque, ce retour à un mode de vie un peu plus « normal » est bien agréable.
Une à deux fois par semaine, nous empruntons le scooter de Toun pour faire les 40 kilomètres aller et retour à Vientiane. Nous y faisons nos courses, le renouvellement de nos passeports déjà trop pleins, un tour sur Internet, et parfois un autre dans un restaurant de la ville. (les prix restent terriblement bas : on en profite !) Pour nos huit ans de rencontre, nous nous offrons un fabuleux petit resto français, le Vendôme, où nous dégustons les meilleurs soufflés de notre vie..... aaah, la nourriture française, c'est tout de même la meilleure du monde, non ? (Si vous y passez, ne ratez surtout pas le soufflé au chocolat).

Nous parcourons, à pied ou en scooter, les larges rues paisibles de la ville que nous finissons par bien connaître. Le trafic dans la capitale n'a rien à voir avec les embouteillages infernaux de Bangkok. Ici, les deux-roues règnent en maître : il faut dire que le Laos est inondé de scooters chinois qui s'achètent pour 200 euros, et qui peuplent les rues de la ville d'un trafic dense, fluide et vrombissant. La circulation au début peut y paraître cauchemardesque, car ici le code de la route est inexistant. Mais en fait, tout le monde roule à vitesse réduite, 40 km/h au grand maximum, et tout se fait au contact visuel : on vérifie que nos voisins ont compris nos intentions d'un coup d'oeil, et on y va ! Comme au ski, on ne regarde jamais en arrière, mais on évite ceux qui sont devant... et ça marche ! (enfin, une fois qu'on a compris qu'ici, on prend les virages à l'indonésienne, c'est-à-dire en se rabattant sur la gauche bien avant le carrefour : arrrrghhh !!). Une présence pittoresque : celle des touk-touk, des espèces de moto-tricycles bariolés qui servent de taxis et ajoutent une touche de gaieté aux rues de la ville. Il y en a partout !

Pittoresques aussi, les marchés sont incroyablement colorés et vivants. On y trouve de tout, des habits aux fournitures scolaires, en passant par des pyramides de tous les fruits possibles, que l'on peut aussi déguster en délicieux « fruit-shakes » mixés sous nos yeux. Si nous passons vite devant les étals de viande à l'odeur douceâtre un peu forte, le poisson lui est on ne peut plus frais : il attend le client dans de grandes bassines bullantes, et les poissonières les abattent et les écaillent en quelques instants sous nos yeux : brrr, le sac qu'elle nous remet gigote encore ! On aurait pu essayer les grenouilles, qui attendent elles aussi dans les seaux voisins... mais le poisson suffira !

En dehors des marchés, on fait vite le tour des principales attractions de la ville : au bout de la plus grande avenue, les Champs Elysées locaux en quelque sorte, trône l'arc de triomphe laotien, le Patuxai, qui domine la ville de sa tour gris sombre ornée de bas-reliefs de bouddhas et de boutons de lotus. L'autre monument de Vientiane, c'est le Pha That Luang (le patate louang ??) : un immense temple entièrement recouvert de peinture dorée, qui trône sur la ville et représente aussi le symbole national. On le retrouve partout, même sur les cahiers de nos écoliers ! Il en impose effectivement, avec sa haute tour toute d'or vêtue et ses bas-reliefs décrivant la vie de Bouddha.

Nous sommes surpris par la forte présence occidentale : à tout coin de rue, on croise des « farlang », le mot laotien pour « France » ou « français », désignant par extension les blancs (prononcer « France » très vite en roulant les R à l'asiatique et avec un accent nasillard, et ça donne « farlang » !). Et finalement, ce n'est pas si désagréable de ne plus être les seuls physiquement différents du reste. Sans les vélos, nous passons presque inaperçus, et pour une fois ça fait du bien !

En parlant de compatriotes, nous allons retrouver à Vientiane deux voyageurs très particuliers : des cyclistes... français... qui font le tour du monde... en vélo couché ! Si si ! et en plus, on les connaît (bon ok le monde des cyclonomades couchés français est petit). Nous avions rencontré Ben et Sylvie avant notre départ à Paris, où nous avions discuté de nos préparatifs respectifs de voyage. Ils sont partis un peu après nous, ont traversé l'Europe de l'Est, le Moyen Orient et un bout d'Asie Centrale avant d'arriver comme nous en Thaïlande. Leur site web vaut vraiment le détour, allez voir sur http://frogsonbents.over-blog.com. Et les voici donc à Vientiane, en même temps que nous : sympathiques retrouvailles !

Nous ne nous croiserons que quelques demi-journées, mais nous trouvons le temps de se faire un petit restau, et surtout d'échanger nos vélos pour quelques essais (les leurs sont en bien meilleur état que les nôtres, honte sur nous ! mais bon nous avons aussi parcouru plus de mauvaises pistes...). Ca fait tout bizarre de pédaler sur d'autres vélos couchés ! En tout cas, on a un succès fou dans les rues de Vientiane : quatre vélos couchés, les laotiens n'avaient jamais vu ça ! On les laisse repartir vers la Thaïlande et la Nouvelle Zélande, leur programme à venir. Finalement, on fait presque un trajet inverse ! En tout cas c'est bien agréable de pouvoir parler voyage et matos avec ces deux autres aventuriers pédaleurs... On les quittera à regret !

Pour la première fois depuis un an et demi, nous voici sédentaires... Et l’un des gros avantages (qui compense la fonte accélérée de nos beaux mollets !), c'est que l'on a une adresse postale... et là ! c'est Noël ! au sens propre comme au figuré d'ailleurs. Nous recevons pas moins de sept gros colis envoyés par la famille et les amis qui se sont lâchés et nous couvrent de fabuleux cadeaux : du foie gras ! des papillotes ! du chocolat, de la mousse de homard, du caviar d'aubergines, des petits gâteaux, et même... une brioche Pasquier, le péché mignon d'Olivier... Mais aussi des guirlandes, des bougies, des livres (le péché mignon Amanda qui en a presque pleuré), des cartes de vœux, des photos, et plein de petits cadeaux. À nous pour qui le moindre petit emballage de bonbons venus de France représente un petit trésor, ces colis sont une super merveille que l'on déballe : merci les parents, merci les copains !

À partir du mois de décembre, nous accueillons aussi des enfants au centre, dans les salles déjà construites. Il s'agit des enfants qui bénéficient de parrainage au sein de l'association, issus des familles les plus pauvres des alentours. La plupart appartiennent à l'ethnie des Hmongs qui a subi et subit toujours un véritable génocide de la part du gouvernement laotien pour avoir combattu aux côtés des Américains pendant la guerre. L'histoire méconnue de ce peuple est absolument terrifiante et nous vous recommandons la lecture de l'ouvrage de Cyril Payen « Laos, la guerre oubliée », qui avait été doublé d'un reportage sur Envoyé Spécial, un livre aujourd'hui interdit au Laos...

Les Hmongs vivant auprès de notre village ont échappé au génocide mais sont maintenus dans une situation de précarité, voire de misère par le gouvernement qui les empêche de posséder des terres ou de faire du commerce. Certains des enfants ne vont même pas à l'école car les parents ont trop besoin d'aide au champ... Hervé tente d'en aider un petit nombre qu'il souhaiterait scolariser dans sa future école. Pour le moment, nous leur donnons des cours de français et les accueillons le week-end dans une ambiance de «centre aéré» agrémentée de quelques cours. Nous avouons que nous nous amusons autant qu'eux !

Pour le dernier week-end, Hervé organise même une journée au zoo à une cinquantaine de kilomètres de là. Pour ces enfants qui ne sont presque jamais sortis de leur village, ce jour là est une véritable fête et ils sont tous parés de leurs plus beaux habits. Cela restera une journée mémorable, et nous réalisons que nous nous sommes vraiment attachés à ces bouts de chou courageux et si spontanés. Lorsque nous leur rappelons notre très prochain départ, certains fondront en larmes et nous aurons beaucoup de mal à cacher les nôtres. Nous pensons encore très souvent à eux et espérons qu'ils sont en train de se construire un avenir heureux...

Hervé et Toun, malgré leurs moyens terriblement limités, ont accompli un énorme travail depuis la naissance de leur association. Car Hervé nous explique que monter un projet indépendant à Vientiane relève du combat perpétuel : ici, même dans le monde des O.N.G., corruption et carriérisme sans scrupules sont la règle... et l'argent des dons atterrit rarement dans les bonnes poches. Hervé avait à l'origine tenté de collaborer avec d'autres associations plus importantes, mais la découverte de fonctionnements suspects, de projets de fraude destinés seulement à tromper les bénéficiaires, et du décalage entre la pauvreté environnante et les fastes des réunions-réceptions officielles, l'a vite fait fuir. Il semble que ses critiques n'aient d'ailleurs pas été bien perçues, car son propre projet n'a cessé de rencontrer des « obstacles » dont il devine l'origine.

Nous en ferons d'ailleurs nous-mêmes les frais : une semaine avant l'arrêt prévu de nos cours donnés à l'école du village, la directrice vient nous voir après la leçon du jour et explique en laotien à Toun que nous devons cesser les cours immédiatement. « Les enfants doivent préparer leur examen de fin d'année, et le français n'est pas au programme. Les cours de français les empêchent de travailler le reste ». « mais... quand sont les examens? » « en avril ». Nous sommes fin décembre... Mais il est inutile de chercher à raisonner, la directrice ne nous laisse pas le choix. Elle qui était tout sourire auparavant, elle se montre soudain étonnamment distante... Inutile de dire que nous sommes aussi déçus que scandalisés, nous n'avons même pas dit au revoir aux enfants, et bien sûr pas terminé notre programme... sans parler des heures déjà passées à la préparation des cours et posters pour les prochaines séances !

Mais au Laos, faire un scandale et tempêter n'a jamais mené à rien... Toun, qui garde un calme olympien et un sourire impénétrable , nous expliquera plus tard que la confrontation n'est pas un moyen de régler les conflits ici. Nous le savons bien, mais... grrr, que c'est pénible ! Il ne nous reste plus qu'à tout remballer... Ce ne sont finalement que quelques jours en moins, mais cela nous laisse un mauvais goût dans la bouche. Hervé, à qui nous expliquons l'affaire, sera tout aussi atterré par la nouvelle... mais pas étonné. «Ce n'est pas la première fois!». Une entrevue immédiate avec le chef du village lui apprendra que le salaire de la directrice a suspicieusement triplé ce mois-ci... Bref, notre séjour ici se termine sur la note un peu amère des magouilles et de la corruption, mais les enfants restent notre principal objectif et Hervé semble certain de parvenir à poursuivre les cours à l'arrivée de la prochaine bénévole, dans un mois : « si l'école nous est fermée, nous utiliserons nos salles de classe, elles sont presque prêtes ! ». Et pour nous, pas question de partir sans prévenir : grâce à Toun, nous faisons passer le mot aux enfants que l'arrêt anticipé des cours n'est pas de notre fait (la directrice leur avait dit que nous en « avions assez » !), et que nous viendrions leur dire au revoir à l'école... où nous nous pointons la bouche en cœur lors d'une récré : on a compris la diplomatie laotienne ! La directrice n'a pas d'autre choix que de nous laisser faire notre petit discours d'adieu, les autres professeurs, prévenus par Toun, en profitent pour nous offrir deux petits cadeaux gravés à nos noms.

L'émotion nous gagne, surtout lorsque tous les enfants récitent en chœur : « merci, monsieur, merci, madame, au revoir ! »... Nous ne les oublierons pas : « merci, les enfants... ».

C'est à présent Hervé, Toun et Noa que nous devons quitter et là encore les adieux sont difficiles. Ils ont été notre « famille » pendant les deux mois, nous sont offerts non seulement un foyer, mais aussi leur confiance et leur amitié. Hervé achètera même un arbre qu'il fera planter aux enfants devant les nouvelles salles de classe : « ce sera votre arbre et les enfants l'arroseront tous les jours ». Un cadeau qui nous touche beaucoup et des séparations difficiles. « Bonne chance pour tout ! » se dit-on mutuellement... « et bon courage... ».

 


Fin décembre : les fêtes en bonne compagnie

 

Le voyage, c'est aussi la perspective de nouveaux bonheurs qui permet de laisser plus facilement les anciens derrière...
Ce sera une fois de plus le cas ici, même si pour une fois,il ne s'agit pas (ou pas encore) des joies du pédalage. Non, on a encore mieux : Fabien et Coralie, nos amis d'Ayuttaya (voir les carnets de Thaïlande), arrivent à Vientiane à bord de leur fière Rustine ! C'est pour eux la fin du voyage, puisque leur objectif était de rallier la France au Laos en deux-chevaux. Nous avons hâte de les revoir, et il semblerait que ce soit réciproque...

Nous les rencontrons quelques heures à peine après leur arrivée à Vientiane. C'est l'occasion de fêter l'aboutissement de leur périple, entre amis voyageurs ! Ils sont évidemment émus par cette arrivée, et déjà nostalgiques : ça tombe bien, nous allons tous les quatre nous changer les idées... C'est que nous avons à fêter non seulement leur arrivée, nos retrouvailles, mais aussi Noël et le Jour de l'An, puisque nous sommes... le 24 décembre !

Si notre Noël précédent était très solitaire et terriblement romantique, sous la tente au fin fond des Andes boliviennes, celui-ci sera bien plus citadin...et bien plus jovial ! Et n'oublions pas... les colis de France, qui nous fournissent de quoi concocter un réveillon du tonnerre, d'autant que Fab et Coco viennent d'en réceptionner deux tout aussi fournis que les nôtres !

Notre amitié instantanée, qui s'était nouée en quelques minutes sur les trottoirs de Bangkok, se confirme et s'amplifie avec ces retrouvailles : nous sommes exactement sur la même longueur d'onde, ravis de s'être trouvés, et amateurs des mêmes plaisirs décadents comme celui d'une table garnie de toasts au foie gras, de saucisson (rraahhhhh) et de noix de Saint Jacques, le tout décoré d'une kitchissime abondance de bougies, guirlandes et autres papillotes multicolores.

Nous disons «amateurs», mais c'est surtout aussi complices d'un plaisir si difficile à faire comprendre : celui de voyageurs au long cours, loin des leurs et habitués à un certain nombre de privations devenues habituelles, qui soudain se retrouvent devant la concrétisation orgiaque de tous leurs fantasmes gastronomiques, et surtout, entre amis et dans une ambiance de fête... « Chaud au coeur», c'est finalement la meilleure manière de traduire le tout !

Précisons que l'orgie en question se situe de plus dans un cadre des plus somptueux : la tante de Coralie, laotienne, lui a remis les clés de sa superbe maison dans Vientiane : « Je ne serai là que dans quelques jours,mais faites comme chez vous, et vos amis sont les bienvenus ! ». « On a halluciné quand on a vu la maison », nous prévient Fab à l'avance... et nous comprenons pourquoi : c'est une demeure absolument splendide, toute en bois et décorée d'objets précieux, maintenue dans un état immaculé par des domestiques qui nous amènent à une chambre d'amis digne des plus beaux hôtels... Dans tout ce luxe, nous osons à peine respirer, et finissons tous les quatre par élire nos quartiers dans l'une des cuisines et sur la terrasse : on y est finalement plus à l'aise !

Nous y passerons deux réveillons mémorables, non seulement grâce aux délices importés de France, mais surtout par l'ambiance que nous mettrons... à quatre seulement ! (bon, quatre, plus le magnum de -très bon- champagne qu'un propriétaire d'hôtel fan de 2CV a gracieusement offert à Fab et Coco au Cambodge...). Inutile de dire que les nuits seront courtes ...

Et voilà, nous passons donc une seconde fois les fêtes en voyage, et prenons ici encore conscience du temps écoulé depuis notre départ, ou depuis ce premier réveillon dans les sommets andins... Que de kilomètres parcourus, de pentes gravies, de rencontres surtout, avec les autres mais aussi avec soi-même... La distance qui nous sépare de nos proches fait toujours aussi mal, mais nous avons appris à assumer les conséquences de notre voyage, et savons que tous ces kilomètres, finalement, ça se parcourt un jour ou l'autre... coup de pédale après coup de pédale ! et quand on aime...

Bonne année 2009 à tous les amoureux du voyage, celui que l'on fait dans sa tête, avec ses mollets ou dans ses rêves ! Et rendez-vous dans les prochains carnets pour découvrir la suite de nos aventures laotiennes, ou comment l'année nouvelle nous a enfin remis sur nos chères bécanes...

 

PS : les meilleurs moments, moments galère et le « mangeons gaiement » sont moins d'actualité dans ce carnet de sédentaires : nous y reviendrons dans les prochains carnets !)

 

 

 

CARNET 2

Globicyclette reprend la route

 

Rebonjour, amis voyageurs !

Avec la nouvelle année 2009 commence notre pédalage au Laos : dans les carnets précédents, nous avions découvert le pays d'une manière un peu différente, et troqué le pédalage contre le tableau et la craie... Voici venu à présent le temps de reprendre la route : c'est parti pour les aventures laotiennes de Globicyclette ! Et elles commencent là où nous vous avions laissés, dans la capitale, et tout juste remis de joviales soirées de fête entre amis...

 

 

 

 

7 janvier : et c’est reparti !

 

C'est aujourd'hui que commencent nos premiers « vrais » coups de pédale de l'année 2009 : bonne année, Globicyclette ! On s'est levés tôt, après une nuit bien trop courte, pour prendre le bus à sept heures au «marché du matin », le Talat Sao, de Vientiane. Ouh, il fait bien frisquet ce matin ! Ce qui n'a pas empêché nos amis, Fab et Coco, de se lever aussi pour venir nous dire au revoir. Nous avons passé avec eux non seulement Noël et le jour de l'an, mais aussi de multiples soirées de rigolade, bavardages ou «larvification » devant la télé, et les séparations sont difficiles... Après une ultime photo, nous enfourchons bien vite nos montures pour éviter de céder à l'émotion qui nous gagne tous, et partons dans de grands signes d'au-revoir. Une minute plus tard, ils nous manquent déjà...
Mais l'heure n'est pas à la nostalgie : le bus nous attend ! Pour une fois, la présence de nos vélos ne pose aucun problème : pour 20 000kips (environ deux euros), les voilà arrimés sur le porte-bagages du toit au milieu de sacs d'oignons, citrons et autre bric-à-brac, et à 7 h pile, c'est parti pour Vang Vieng ! Nous faisons ce premier tronçon en bus pour rattraper le retard occasionné ces derniers jours par l'attente de nouveaux visas thaïlandais (nécessaires depuis peu), sur les conseils d'autres cyclistes qui ont confirmé que la route jusqu'à Vang Vieng n'avait aucun intérêt et que le trafic intense la rendait bien désagréable.
La route, nous n'en verrons pas grand-chose, car nous passons la plus grosse partie des quatre heures de trajet à rattraper notre gros manque de sommeil : la semaine précédente fut riche en nuits courtes!

Nous nous réveillons à temps pour admirer les magnifiques collines en pointe qui font de Vang Vieng une cousine asséchée de la baie d'Halong : elles sont effectivement impressionnantes.

Et c'est sous leur regard que nous remettons les sacoches sur les vélos : ouh, qu'elles sont lourdes ! C'est que nous avons laissé la remorque à Bangkok, et du coup les sacoches restantes sont pleines à craquer. Il faut dire qu'une partie non négligeable de notre chargement consiste en foie gras, chocolats et autres merveilleuses conserves envoyées par la famille et les amis dans leurs colis de Noël : on s'en est gardé un bout « pour la route» ! À côté de nous, un jeune Indien charge, lui, une petite valise sur un vélo aux roues minuscules. Il n'a pas l'air d'un routard, avec cet équipement de citadin, mais il nous apprend qu'il vient tout de même... du Vietnam ! Chapeau bas pour cet aventurier en herbe... Ce ne sera d'ailleurs pas le seul cycliste que nous croiserons dans les jours qui viennent : les raides montagnes du nord du Laos attirent les pédaleurs... Et d'ailleurs, cette fois, c'est nous !

Nos premiers coups de pédales se font sous un ciel radieux, et dans un paysage de montagnes vertes et majestueuses qui nous enchante. La route monte, mais tout doucement, et malgré nos genoux tout rouillés par deux mois de pause, on avance bien. Youpi, on est repartis !

A midi, nous mangeons notre riz gluant (« Khao niao », l'équivalent du pain au Laos, et notre carburant de base pour les semaines à venir) et nos bananes devant un paysage de carte postale : une grande rivière aux eaux vertes et limpides qui serpentent entre les pitons recouverts de forêts, surplombée par un temple coloré d'où sortent de jeunes bonzes à la toge orange et à l'ombrelle noire... qu'elle est belle, l'Asie du Sud-Est !

Les jours suivants, nous découvrons que le Laos est loin d'être un plat pays : nous voilà à l'assaut de pentes qui nous semblent bien raides, et nous allons cumuler les journées à plus de 1000 m de dénivelé positif : ouille ! c'est qu'on avait perdu l'habitude de pousser sur les pédales... voire de pousser tout court, au moins pour Amanda qui décide de préserver ses genoux quand la pente dépasse les 10 %.
Mais nous avons des supporters : tous les quelques kilomètres, nous croisons de minuscules villages, petits paquets de maisons sur pilotis aux murs en tiges de bambou entrecroisées, dont les habitants nous encouragent gaiement.

Invariablement, on nous sourit, on nous salue de la main, les «Sabaïdee ! » (bonjour) fusent, et les enfants nous courent après pour nous taper dans la main au passage, ou nous accompagnent timidement dans les montées. La région semble assez pauvre, comme en témoignent les maisons très simples et les habits usés des enfants, mais ceux-ci ont l'air correctement nourris et ont des sourires splendides.

Les grandes soeurs de sept-huit ans portent leur petit frère sur leur dos, dans une toile nouée sur leur poitrine : à cet âge tendre, ce sont déjà des petites mamans en puissance qui nettoient la maison, font les repas et s'occupent des plus petits pendant que les parents travaillent aux champs. Nous sommes frappés par le nombre d'enfants que l'on croise quotidiennement, et en déduisons tristement qu'ici, ils n'ont pas le privilège d'aller à l'école...

Nous avons bien vu des bâtiments construits à cet effet, la plupart édifiés, comme l'expliquent de beaux panneaux, grâce à des financements de gouvernements étrangers, le plus souvent la France d'ailleurs. Mouais... c'est bien beau de construire école sur école, et ça doit sûrement faire venir les financements, mais qui s'occupe ensuite de les remplir, en payant des professeurs, par exemple ? Nous, en tout cas, ne pouvons que constater : les écoles sont là, mais sont vides, et les enfants jouent ou travaillent dans les villages...
Nous remontons des vallées où s'étalent des cultures en terrasses travaillées par des paysans au chapeau pointu, bordée de part et d'autre de ces montagnes vertes tout en pitons immenses qui font l'attrait de la région.

Au bord de la route, des hommes et des femmes coupent, battent ou mettent à sécher de longs plumeaux de ces graminées immenses qui dansent doucement sur les flancs des collines. Ils en font des sortes de fagots dont on ignore la destination : balais, tissage, chaumes pour les toits ?

Nous croisons aussi régulièrement, peut-être pour la première fois du voyage, des jeunes hommes armés : ils font probablement partie de l'armée gouvernementale, omniprésente dans la région en raison du « problème Hmong », mais ne portent en guise d'uniforme que de vagues chemises kaki et ne se déplacent pas en groupe. Quoi qu'il en soit, cette présence armée peu formelle nous donne la chair de poule, même si tous ces jeunes nous saluent poliment... Des kalachnikovs au milieu de ces montagnes si paisibles, c'est un contraste de plus qui nous ramène à de dures réalités...
Au terme d'une grande montée bien raide, nous voyons apparaître de charmants petits bungalows bordant une mare aux eaux transparentes : les sources chaudes de Bor Nam Oon !

Plébiscitées par tous les cyclistes croisés en route, et effectivement le site est plutôt idyllique : ces minuscules chalets de bois surplombent une petite piscine naturelle alimentée par des cascades d'eau chaude. En face, dénivelé oblige, s'étend une vue magnifique sur la vallée en contrebas, et au-dessus de nous, des pitons vert sombre découpent leurs silhouettes dentées dans le ciel bleu...

Nous n'avons fait qu'une quarantaine de kilomètres, et l'après-midi vient de commencer, mais... on ne va tout de même pas passer ici sans en profiter ! Nous acquiesçons donc aux demandes empressées du responsable des bungalows, un jeune «ladyboy » qui arbore un look d'enfer : maquillage, élastiques de couleur dans ses cheveux courts, colliers et bracelets de grosses perles, vernis à ongles nacrés et tongs à fleurs. Il porte l'ensemble avec un naturel incroyable et des attitudes de biche effarouchée qui nous remettent de bonne humeur : ici ce genre de personne est accepté avec une tolérance qui fait plaisir à voir ! Et le bungalow qu'il nous ouvre est vraiment mignon comme tout, avec juste assez de place pour un lit et une mini douche. Quel luxe les amis ! Allez, zou, c'est l'heure du bain chaud ! L'eau n'est pas brûlante, ce qui nous convient à merveille vu la température extérieure (35° C au soleil quand même) : que ça fait du bien ! Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à en profiter : toute une famille laotienne se débarbouille au milieu des rires des enfants, ainsi que d'autres «routards », et même deux autres cyclistes. Nous terminerons la soirée sur « notre » balcon, à écrire les carnets et trier les photos face au soleil couchant, dans le chant des grillons qui annoncent la nuit...

 


7-11 janvier : comment se passe une journée type dans les montagnes laotiennes


 

6 heures du matin... 8°C dans la tente : brr! Nos habits chauds, laissés à Bangkok, nous manquent cruellement...heureusement qu'on a tout de même pris une petite paire de chaussettes chacun, car nous sommes en sandales... Nous nous offrons le luxe d'un thé chaud pour nous motiver à sortir de la tente, et remballons le bivouac en frissonnant, dans les couleurs douces et brumeuses du lever du soleil. Puis on grimpe vite sur nos vélos pour nous réchauffer... heureusement, les montées sont nombreuses !

Nous prendrons notre petit déjeuner (l'indispensable «khao niao », acheté la veille sur la route) un peu plus tard sur le bord de la route, lorsque le soleil sera sorti de la brume.

Nous sommes à présent au-dessus de 1000 m, et au détour des virages, derrière la végétation souvent haute, on aperçoit parfois des panoramas à couper le souffle : des montagnes vertes s'étendant à l'infini, les plus lointaines perdues dans la brume et dans un fascinant dégradé de bleus.
Aujourd'hui, c'est une nouvelle « montée de la mort » qui nous attend : plus de 1000 m de dénivelé sur 35 km, ça va grimper raide !

Nous n'avons pas affronté de telles côtes depuis le Kirghizistan, mais ici, tout est asphalté, et nous sommes un peu plus légers : ça ne devrait donc pas être si terrible... enfin, ça c'est ce qu'on dit en dévalant une première grande descente qui nous amène au pied... du « mur ». Parce que dès le cinquième lacet, nos cuisses nous rappellent lâchement qu'elles n'ont pas été sollicitées depuis plus de deux mois : ouille, ça tire ! ça transpire ! C'est que la pente atteint parfois les 12 %... mais malgré tout, on se remet peu à peu dans le rythme de la grimpette, et coup de pédale après coup de pédale, avec nos petits 4 - 4,5 km/h, on allonge les kilomètres. Le tout sous un soleil de plomb, mais qui décide parfois d'arrêter la tyrannie de ses chauds rayons et laisse la place à de frisquets nuages gris. Ce qui nous va très bien en plein effort, mais rend les pauses un brin trop fraîches : tant pis, on pédalera plus ! Et on se motive avec nos MP3 tout neufs... sur lequel nous avions copié une anthologie de la mythologie indienne gentiment fournie par Fab. L'un de nous écoute les histoires, puis les raconte ensuite à l'autre, et ça nous occupe bien : Krishna, Shiva et autres Vishnou n'auront plus de secrets pour nous !

Et à chaque belle montée, nos efforts sont récompensés par des panoramas spectaculaires... Tiens d'ailleurs, c'est l'heure du déjeuner : au menu, terrine de cerf à l'Armagnac... merci les colis des parents ! Dommage que nous devions l'étaler, faute d'une bonne baguette, sur des boulettes de riz collant ! Terrine que nous mangeons enroulés dans nos deux couvertures, car le vent est bien froid : on a un de ces looks ! Une fois les yeux remplis de la jolie vue, nous nous remettons « en selle » : la fin de la montée va nous réchauffer... Nous saluons en partant les touristes (locaux et internationaux) qui sont venus admirer nos vélos : « moi, je ne pourrais jamais faire ça ! » (ben... pourquoi ??) « et c'est plus confortable ? » « félicitations ! » « Voici ma carte, appelez-moi si jamais vous passez à Chiang Maï en Thaïlande ! »... bref, la routine, mais on aime bien quand même, avouons-le!

Et puis bientôt, nous voilà à Phoukhoun, l'embranchement entre notre route, la 13, et la route 7 qui amène vers l'est et le sud du pays. L'endroit était réputé dangereux il y a quelques années, mais aujourd'hui, comme nous l'ont confirmé de multiples sources officielles ou non, il est totalement sûr. On ne compte d'ailleurs plus les cyclistes croisés sur la route ! (Les veinards, eux, ils descendent...). En voilà d'ailleurs quatre autres attablés dans un petit « restaurant », dont deux de l'âge de nos parents. Ils viennent nous saluer et nous restons sous le charme de la vitalité et de la sympathie qu'ils dégagent. Eux sont partis en avril 2007 et ont rendez-vous en mars prochain à Mexico pour le mariage de leur fille. Après ? « Bah, on verra bien, mais en tous cas ce sera en vélo ! ». Comme quoi il n'y a pas d'âge pour l'aventure. « Quand on sera en retraite, on fera comme eux », projette Olivier en repartant à l'assaut de la côte suivante... « Y' a intérêt ! » rétorque sa pédaleuse de femme, « et alors, après Shiva il y a qui, déjà ? »...
Les couleurs dorées des montagnes signent déjà la fin de l'après-midi, et il est temps de se mettre à la recherche d'un bivouac : pas facile dans ces montagnes, où toutes les routes sont à flanc de falaise.

Il ne doit pas y avoir un seul recoin de plat dans toute la région ! mais c'est bien pour ça que c'est beau... On finit par hésiter devant une maison au bout d'un minuscule village : ils ont bien un bout de terrain broussailleux à côté mais... Hésitations balayées par l'homme qui vient nous voir : « Vous dormir ici ? » (en langage des signes). Heu... ben pourquoi pas? Il semble ravi de notre décision et part illico chercher une bêche pour déterrer les mauvaises herbes aux tiges pointues sur son bout de terrain. C'est gentil, ça ! Nous voilà soudain entourés par un cortège d'enfants de tous les âges, qui sont fascinés par la mise en place de notre bivouac.

Olivier fait essayer le vélo aux plus téméraires (seuls quelques-uns oseront !) pendant que notre «hôte» plante gaillardement notre bambou-cerf-volant pour marquer l'emplacement de notre nouveau territoire. Le tout dans les rires joyeux des enfants : l'ambiance est bonne ! Malgré le vent froid, ils resteront accroupis presque une heure face à notre abside, à nous observer faire la cuisine au réchaud. Nous regrettons de ne pas savoir mieux parler lao, mais on parvient au moins à leur demander leurs prénoms... Et puis la nuit tombe, et tout ce petit monde rentre à la maison. Nous aussi, d'ailleurs, car il fait plus chaud sous les couvertures ! Enfin, « chaud », c'est très relatif : sans notre duvet et munis seulement de nos polaires et couvertures, nous avons bien froid : la nuit ne sera pas très confortable...

 


11-12 janvier : Luang Prabang la Belle

 

Montées, descentes, montées : que c'est raide ! Mais nous avançons vaillamment, désireux aussi d'atteindre la ville de Luang Prabang, où nous attendent Internet et des nouvelles de la famille : c'est que James, le frère d'Amanda, va fêter ses 30 ans, et sa sœur chérie en est tout émue et nostalgique : si seulement on pouvait se télétransporter le temps d'une embrassade !
Après un dernier col à 1400 mètres, une fabuleuse descente de plus de 20 km nous amène droit sur la ville: le pied! À toute allure, nous dégringolons en moins d'une heure près de 1000 m de dénivelé durement acquis les jours précédents: la cruelle loi du vélo! Mais c'est bon, les descentes «tout shuss!».
Puis soudain, le trafic se densifie, les maisons aussi, le relief s'aplanit... et voici Luang Prabang ! Après quelques tâtonnements, nous nous trouvons une guesthouse raisonnable pour notre budget, puis partons à pied découvrir la ville qui s'anime avec la tombée du jour.

Nous tombons sur le marché nocturne, qui occupe l'une des trois rues principales sur au moins 500 mètres. Il est absolument magnifique : on y trouve les plus beaux produits de l'artisanat Hmong, exposés par terre sur de grands tapis éclairés par d'innombrables ampoules. L'ensemble dégage une atmosphère chaude et douce de « marché de Noël » qui nous ravit, et les objets exposés sont tous magnifiques : des milliers de foulards et écharpes en soie, moirés, brillants, brodés, une infinité de bijoux en argent, des coupe-coupe, des abat-jour de papier, des peintures représentant des bonzes, des parures de lit brodées, des habits traditionnels, des éléphants de bois, des trousses de soie brodée, des jeux d'échecs en bois, et tant d'autres merveilles !

Presque tout est réalisé avec un goût étonnant et l'oeil, où qu'il se pose, est charmé par les couleurs et les matières. Les vendeuses, assises au milieu de leurs marchandises, sourient aux passants et marchandent gentiment. Les plus dures sont peut-être les plus jeunes : 10, 12 ans tout au plus ? Au milieu de cette caverne d'Ali Baba orientale passent des centaines de «Falangs », les touristes, dont beaucoup de français. Nous aussi, on s'y promène avec le sourire, et des yeux émerveillés : ah, si seulement nous avions des sacoches plus grandes et surtout un budget moins petit, nous en ramènerions, des merveilles ! autant pour nous que pour nos proches... Quelle frustration de ne pas pouvoir jouer au Père Noël et charger sa hotte de cadeaux !

Nous terminons la soirée par un tour sur Internet, car nous n'avançons guère dans notre poursuite d'un billet d'avion magique qui nous permettrait de rallier toutes nos destinations futures : que de temps perdu en recherches vaines et en coups de téléphone inutiles (aaah, ces petites musiques d'attente, comme on les déteste!), et ce soir encore, malgré près de deux heures sur Skype, on progresse à peine... allons-nous devoir annuler l'Australie, ou même Madagascar, parce que les compagnies qui y volent chargent les vélos trop cher ?
C'est la tête pleine de soucis et d'écrans d'ordi que nous rentrons enfin nous mettre au lit, dans une nuit bien frisquette... Au lit ? vous avez dit lit ? eh oui, ce soir, nous dormons dans le luxe : oublions nos tracas et profitons-en : bonne nuit !

Le lendemain, nous visitons la ville, un petit joyau de temples délicats et de maisons coloniales, tout de même classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Vue sa taille réduite, nous optons pour une visite à pied: s'il y a plus de 2km à parcourir, c'est bien le maximum !

Un petit tour le long du Mékong, encore chargé des brumes du matin, nous permet de vérifier la possibilité de se rendre en bateau à Nong Kiao, plus au nord : on nous a vanté la beauté de cette traversée de sept heures, moins touristique que la croisière habituelle sur le Mékong, qui se termine à la frontière thaïlandaise : c'est dit, nous partons demain matin !

Nous partons ensuite découvrir le marché du matin qui occupe, lui, la seconde « artère » de la ville : cette fois-ci, c'est de nourriture qu'il s'agit, mais il n'en est pas moins magnifique que celui du soir. Des légumes aux couleurs éclatantes sont empilés en belles pyramides sur des nattes posées à terre, entre des grilleurs de saucisses parfumées et des marchands de poisson frétillant. Les quantités exposées ne sont jamais énormes : chacun vient vendre sa propre production, 20 kilos de clémentines, six ou sept poissons, trois oiseaux attrapés au collet, un tas de riz, il y en a pour tous les goûts !

Nous y dégottons des galettes de riz soufflé craquantes et de minuscules pancakes à la noix de coco qui nous font un petit déjeuner parfait. L'estomac plein, nous sommes fin prêts pour l'escalade de la colline centrale qui surplombe la ville, dominée par le Wat (= temple) Phu Si au sommet tout doré.

Le temple sommital est décevant (seule la toute finale pointe du toit est dorée!) mais ceux bordant la colline sont plus intéressants : on y trouve de complexes peintures murales à la « Jérôme Bosch » décrivant toute l'histoire de bouddha ou de la ville, ou toute une succession de statues de bouddha dorées aux pieds desquelles brûlent des bâtons d'encens entourés de fleurs oranges. On peut même admirer l'empreinte dorée d'un pas de Bouddha (qui chaussait au moins du 56 !).

La vue du sommet est jolie et confirme la petitesse de cette ville si célèbre, ancienne capitale tout de même: pas d'immeuble bien sûr, juste quelques toits pointus qui émergent entre les palmiers et les bananiers. Le Mékong étend au pied des maisons son long ruban brun qui part se perdre entre les montagnes voisines.
Redescendus de notre colline, on part faire une promenade dans les petites ruelles : le style «français» est si présent qu'on se croirait presque dans un recoin de l'Estaque, village natal d'Amanda, accent des habitants excepté! Pour sauvegarder ce qui reste de notre budget, nous nous contentons de faire le tour des grands temples payants et de visiter ceux à entrée libre.

Ils sont tous superbes, avec leurs façades décorées de mosaïques miroitantes et de bas-reliefs dorés. Les toits des pagodes, surtout, sont d'une délicatesse aérienne : avec leur forme concave et leurs pointes en fines têtes de dragon du fleuve, on dirait des ailes posées sur des temples prêts à s'envoler.

Au Musée Royal, nous admirons les anciennes voitures royales (la première, une DS, fut remplacée par d'énormes Lincoln continental), et Amanda parvient à apercevoir le « Prabang », une petite statue dorée de bouddha, datant du 1er siècle après Jésus-Christ, et qui a donné son nom à la ville. Toutes aussi impressionnantes sont les immenses défenses d'éléphant sculptées et dorées qui l'entourent. C'est que nous sommes au « Royaume du Million d'Éléphants » ! Million dont il ne doit plus rester grand-chose, tant leur habitat est aujourd'hui fragmenté à cause de la déforestation intensive... Pour combien de temps encore en ont les éléphants d'Asie ?

 

13 janvier : Luang Prabang - Nong Kiao, une journée au fil de l'eau

 

C'est donc en bateau que nous quittons Luang Prabang, ou plutôt dans une jolie jonque à moteur qui va nous porter pendant sept heures sur la Nam Ou, un affluent du Mékong.

La jonque ne doit pas dépasser deux mètres de large pour une quinzaine de mètres de long, et nos vélos y occupent une sacrée place, mais cela ne dérangera personne car nous ne serons que quatre passagers et deux chauffeurs : on a presque la barque à nous tout seuls !

Juste avant de partir, nous voyons trois cyclistes (en vélo droit) monter sur la barque voisine (on suppose qu'ils évitent de trop charger chaque barque en raison des eaux bien basses de la Nam Ou). Eux sont en vacances pour trois semaines seulement, et ils respirent la bonne humeur et la joie de vivre : dommage que l'on n'ait pu partager la même barque, mais on se rattrapera à l'arrivée.

La croisière, qui dure toute la journée, est merveilleuse : nous remontons un bras de fleuve relativement large, aux eaux brunes et paisibles entourées de montagnes abruptes couvertes de jungle.

Les berges sont presque toutes cultivées par les habitants des quelques villages isolés que l'on devine ça et là, et nous croisons parfois des jonques dont les occupants, souvent des enfants, nous font de grands signes de main. Que c'est beau, sauvage et surtout paisible ! Nous savourons ces moments magiques bien emmitouflés dans nos couvertures, car avec la vitesse (pourtant faible) de l'embarcation, il fait bien frisquet sur le fleuve.

En fin de journée, le paysage se teinte de couleurs dorées et les montagnes deviennent bleues : spectacle fabuleux... Nous sommes vraiment sous le charme de cette région si belle et si tranquille.

L'arrivée à Nong Kiao se fait plus tard que prévu en raison de petits soucis de moteur, et le soleil se couche pendant que nous débarquons nos vélos. Le village est minuscule, juste une seule rue et un pont, mais adorable, avec ses maisons en bambou sur pilotis et sa vue merveilleuse sur le fleuve. L'endroit respire un bonheur tranquille, les gens y sont souriants, bref tout incite à y rester... D'ailleurs, nous pensions pédaler une petite dizaine de kilomètres, mais décidons de changer nos plans, car la nuit tombe : nous allons dormir sur place. Ce qui tombe finalement bien, car ainsi nous aurons le temps de bavarder avec nos amis cyclistes. Ceux-ci prennent d'ailleurs les devants : « notre guesthouse fait aussi restaurant : venez donc nous y rejoindre vers 19 heures, on vous invite ! ». Youpi ! Ce sera un repas bien sympathique, et, on l'avoue, bien meilleur que le riz collant qui fait notre ordinaire sous la tente... La soirée se passe entre conversations à bâtons rompus et fous rires : ces trois-là sont des bons vivants ! Ils ont la cinquantaine, et partent chaque année un mois en janvier, en vélo ou bien à l'assaut de sommets de plus de 6000 m. Ils tiennent une forme épatante ! Nous les recroiserons le lendemain sur la route : eux sont plus rapides, mais se lèveront plus tard : nous, on adore les départs dans les brumes de l'aube...

 


14 janvier : « Montée de la Mort », et retour à l'école

 

Au réveil, un peu après six heures, la montagne est plongée dans la brume, et seul le chant du coq nous parvient des maisons pourtant situées à 50 m. Nous voici plongés en plein mystère asiatique... Les 30 premiers kilomètres sont un vrai plaisir : une succession de petites montées et descentes dans une petite vallée aux rizières brumeuses et mystérieuses, et aux villages minuscules et charmants. Tout le monde nous y salue avec sourires et exclamations, et sur notre route « facile » nous avançons à un bon train.
Un peu plus tard, le ciel bleu a remplacé la brume, le soleil est là, et les choses se corsent : une nouvelle «montée de la mort » nous attend : plus de 1000 m de dénivelé sur 30 km, ça va chauffer dans les genoux ! c'est que même si nous sommes allégés, nous portons tout de même environ 55 kilos chacun (pesés hier à la guesthouse), sans compter l'eau...
Mais poids ou pas poids, nous finissons comme toujours par venir à bout de cette grosse montée : heureusement que c'est de l'asphalte, quand même... Mais nous ne sommes pas non plus exténués : l'entraînement des mois précédents (excepté les deux derniers !) a porté ses fruits, car nous battons tout de même aujourd'hui un nouveau record : 1453 m de dénivelé !
De quoi avoir bien mérité de s'arrêter enfin, au bas de la belle descente qui, bien sûr, suit la montée.

En l'absence de terrain plat, nous décidons de bivouaquer dans le prochain village : ça tombe bien, celui-ci possède une petite école à flanc de colline qui n'attendait que nous. Nous demandons l'autorisation de nous y installer au village : « Nous, tente, ici, OK ? ». Oui oui, nous répond-on. Un homme souriant, probablement le professeur, nous y guide dans une nuée d'enfants curieux. Le bâtiment central est posé à même la terre battue : quatre demi-murs, un toit, pas de porte, et un petit tableau noir planté dans la terre.


Les écoliers d'ici ne travaillent pas dans les mêmes conditions que nous! Mais l'endroit est charmant, rempli de dessins d'enfants et de tables de multiplication, et nous n'avons qu'à pousser les petites tables pour y monter notre tente, toujours sous le regard d'une ribambelle d'enfants qui vient observer ces deux «Falangs» extraterrestres. Comme à chaque fois, ils commencent à regarder de loin, à une vingtaine de mètres. Mais peu à peu, à chaque fois qu'on lève les yeux, leur rangée bien alignée a avancé... jusqu'à ce qu'ils se trouvent tous à un mètre de la tente, en un bel arc de cercle, mignons comme tout !

Mais il suffit qu'on sorte l'appareil photo pour qu'ils s'éparpillent comme une volée d'oiseaux... avant de comprendre qu'on peut leur montrer chaque photo sur l'appareil : alors, c'est à qui fera la plus belle pose, et l'inspection des photos déclenche des fous rires... Il y a avec eux un ou deux adultes qui surveillent le tout avec bienveillance, et leur ordonneront de nous laisser tranquilles quand nous commencerons à manger notre repas... dont ils ont tout de même observé la cuisson d'un œil effaré... On imagine : quoi ? du riz gluant mélangé à des œufs et des nouilles aux bananes ? pouah ! C'est qu'en fait, ce soir, on inaugure de nouvelles recettes spéciales « Globicyclette vide ses sacoches » : le Pad Thaï, sans wok, mais à la banane ! Et croyez nous ou pas, c'était même plutôt bon... avec du riz gluant frit à l'œuf en dessert : c'est beau, c'est «in », c'est la cuisine internationale moderne ! aie aie aie, quelle image transporte-t'on ici de la gastronomie française...
Ce soir, nous avons même le privilège de manger sur une table, assis sur les bancs de bois des écoliers : le luxe ! Si seulement il pouvait faire un peu moins froid... Mais on ne va pas se plaindre : il paraît que la France (et l'Europe !) connaît des records de températures négatives. Il y a même eu 50 cm de neige à l'Estaque la semaine dernière ! Finalement, on n'est pas si mal, dans nos montagnes du Laos...

 


15- 18 janvier : cap sur la Thaïlande

 

Les jours suivants, notre pédalage nous amène dans les plaines où se blottit la petite ville d'Oudomxaï, puis de nouveau dans les montagnes, de plus en plus près de la frontière chinoise au nord. D'ailleurs, nous avons droit à un ballet de camions en provenance de Chine, passant par groupes d'une dizaine, qui nous étouffent de leur vrombissements et de leur poussière : à bas les camions chinois ! D'autant que les multiples passages ont abimé l'asphalte, qui disparaît par endroits au profit d'une caillasse peu agréable à nos pneus : c'est que nous avons pris goût au luxe des bonnes routes...
Mais nous finissons par arriver à une bifurcation libératrice : vers le nord à 20 km, la frontière chinoise, et vers l'ouest... la Thaïlande : à l'ouest, toutes ! Ah, nous voilà enfin débarrassés de ces satanés camions.

Et la route, apparemment vieille de deux ans seulement, est un vrai délice : une large bande de bitume bien lisse, avec même un marquage au sol ! Même à Vientiane il n'y avait rien de tel. Le pédalage y est relativement facile, enfin, «facile», seulement par comparaison avec les terribles montées des jours précédents ! car les ondulations du terrain restent bien raides et nous laissent haletants. Un peu comme sur la Carretera Australe finalement, mais sans le ripio !

La région étant un brin moins montagneuse, nous évoluons plus en fond de vallée qu'à flanc de côte abrupte, et nous retrouvons ici ces beaux paysages de rizières qui font le charme de l'Asie. Derrière les rizières, les premières collines sont toutes défrichées (par brûlis) et cultivées. Mais au-delà, c'est la jungle : une superbe forêt primaire dont on ne distingue que l'entrelac confus des lianes et des épais feuillages. Dans tous les cas, le paysage est, décidément, magnifique, et nous avons même plus de vues dégagées qu'en montagne, où tout était souvent masqué par la végétation haute du bord de route.
Nos bivouacs se font le plus souvent dans les écoles des petits villages, et quand les écoles font défaut, nous bivouaquons en bordure des champs. Un soir nous y rencontrerons une charmante mamie Hmong, toute de noir vêtue (c'est l'habit traditionnel), qui nous fait signe de venir dormir chez elle, là-bas dans son village. Mais le soleil est déjà couché, et nous ne savons pas à quelle distance se trouve le dit village : merci bien mamie, mais nous allons nous poser ici pour ce soir, c'est plus simple pour nous ! Elle finit par se laisser convaincre en nous regardant dresser la tente, et nous lui offrons en cadeau d'adieu un carré de notre précieux chocolat Côte-d'Or qu'Olivier grignote déjà : bonne nuit ! « Eh, dis, je crois qu'elle a discrètement jeté ton chocolat en repartant » « quoi ! ? ah, ces laotiens qui n'aiment pas le sucré... Tu crois qu'on peut retrouver le carré dans les herbes... ? ». Peine perdue !

 


18 janvier : la journée des pannes

 

Aujourd'hui, nous quittons de nouveau rizières et vallées pour retrouver nos bonnes vieilles montagnes: ça grimpe ! et les côtes sont bien raides : descentes à toute allure et terribles montées à 4 km/h s'enchaînent sans répit : eh, un peu de pente douce, c'est pas au programme du jour ?... mmh, on ne dirait pas ! Nous totaliserons ainsi plus de 1000 m de dénivelé au compteur alors que nous finissons la journée à la même altitude que la veille !

Au détour d'un virage, nous tombons sur un couple d'un certain âge qui pousse un tandem, dans la direction opposée à la nôtre. Waltraud et Bernd ont au moins 65 ans (70 ?), sont allemands et ont un problème de pédales : l'une d'entre elles ne tient plus sur son axe ! Olivier propose de tenter une réparation, il sort sa super pâte de Mac Gyver, une sorte de résine à froid constituée de deux composants qui se mélangent en malaxant, ce qui les chauffe, et la pâte résultante deviendra dure comme du plastique au bout d'une demi-heure. Et c'est très pratique pour toutes les petites réparations !

Pendant que ça « sèche », nous discutons vélos et itinéraire avec ces deux « anciens » qui ont voyagé un peu partout, et ne reviennent en Allemagne que lorsque leurs petits-enfants les réclament. Pour leur âge, ils tiennent une forme phénoménale ! Ils étaient d'ailleurs en Amérique du Sud l'année dernière, en même temps que nous...

La réparation semble tenir, et chacun reprend son (ardu) chemin. Mais peu de temps après, Amanda entend des cliquètements récurrents à l'arrière d'Heidi. Elle s'arrête pour inspecter sa monture. Elle ne parvient pas à trouver la cause du bruit, mais en revanche, son inspection des roues révèle une bien mauvaise nouvelle : son pneu arrière est dans un sale état, carrément fissuré par endroits, et au bord de la rupture. Aïe aïe aïe ! Elle rejoint Olivier avec précautions, et s'ensuit une longue session de réparations sur le bord de la route : Olivier colle de la bâche de camion (toujours elle : qu'est-ce qu'elle nous aura dépannés, depuis sa trouvaille au bord de la route en Patagonie !) aux endroits abîmés à l'intérieur du pneu : ça n'empêchera pas l'usure, mais au moins ça protégera la chambre à air... et nous inversons pneus avant et arrière, l'avant supportant beaucoup moins de poids, et donc de frictions. À nous les incantations magiques : pourvu que ça tienne jusqu'à Bangkok ! Une fois les roues enlevées, nous en profitons pour examiner l'état des moyeux : les présomptions d'Amanda se confirment : son moyeu arrière est dans un sale état, faisant entendre de méchants frottements métalliques à chaque tour. Les roulements à billes à l'intérieur n'ont pas l'air bien en forme, et même à vide, la roue cesse de tourner après quelques rotations... zut ! Bon, une panne à la fois, nous verrons cela plus tard... Car il y a aussi un problème avec la manette de vitesses droite, le câble de dérailleur avant, la gaine du câble arrière, et chez Philéas, un curieux bruit de frottement dans la gaine de la chaîne : alerte ! rien ne va plus ! Il va falloir faire une grosse remise à neuf à Bangkok...

Ah, et on a oublié le compteur kilométrique d'Olivier, qui affiche fièrement 69°, 3679 m d'altitude et 28 km/h : il n'a pas aimé l'humidité matinale de ces derniers jours... Inutile de dire qu'avec tout ce tas de mauvaises nouvelles, nous n'avons pas beaucoup avancé aujourd'hui... En fin de journée, alors que nous peinons une fois de plus sur une « côte de la mort » à 12 % minimum (et pas au compteur d'Olivier!), une mauvaise nouvelle de plus vient s'ajouter à la longue liste : le siège d'Amanda bouge ! en fait, il est complètement fissuré autour d'une des vis de fixation, positionnée sous les omoplates. Il ne manquait plus que ça !

Nous pédalons malgré tout jusqu'au coucher du soleil, et terminons par la pire montée de la journée : espérons que les genoux, eux, ne tombent pas en panne...

Et nous nous posons sur un promontoire presque au sommet, bien cachés de la route. Nous dominons une petite vallée entièrement couverte d'une jungle épaisse, d'où s'échappent des cris d'oiseaux incroyables, que l'on n'entend généralement que sur les CD de « Nature et Découvertes »... ah, vive l'exotisme du voyage !

Enfin bon, exotisme ou pas, Olivier va passer la soirée à réparer les « dégats » au mieux, pendant qu'Amanda s'occupe du bivouac et du repas (comment ça, c'est machiste ça ? pas du tout, ça s'appelle une répartition efficace des rôles...).
Olivier répare donc le siège fissuré avec la pâte magique, change le câble de dérailleur, et puis se voyant bien parti dans ce bricolage à la frontale (il fait nuit noire depuis longtemps), il entreprend un périlleux démontage du moyeu arrière : c'est la première fois qu'il ose s'y attaquer, un peu anxieux de perdre des pièces... et à l'intérieur, quel triste spectacle ! Les roulements sont sales, rouillés et plein de petits cailloux. Le voilà qui les nettoie et tente ensuite (alors qu'Amanda écrit ces mots) de les remettre dans le bon ordre à la lumière tremblotante de sa frontale... s'il n' y parvient pas, on est bons pour faire du stop demain matin... faites qu'il ne perde pas ses billes ! (est-ce de là que vient l'expression ?).

 

19 janvier : back to Thailand !

 

Une fois n'est pas coutume, la brume ce matin est restée cantonnée au fond des vallées, et sur notre promontoire le lever du jour nous offre peu à peu un beau ciel dégagé : notre petit bivouac, cerné par des buffles en quête d'herbe tendre, repose au milieu d'une carte postale de jungle, montagnes brumeuses et horizon rose pâle...
Bon, nous ne sommes plus qu'à 57 km de la frontière, donc nous comptons bien y arriver avant la fin de la journée : en route ! mais avant... c'est l'heure de tester les réparations effectuées la veille sur Heidi : moment crucial... oui ! ça tourne ! Le moyeu semble en meilleur état que depuis des lustres, et le siège semble tenir le coup : bravo Mac Gyver !
Nous voilà donc partis à l'assaut des dénivelés du jour, qui ne sont pas des moindres. La dernière côte, du 12 % sur plus de 4 km (au bas mot), termine notre « ascension » des montagnes laotiennes sur une note majestueuse. Tout aussi grandiose sera la prodigieuse descente qui suivra, où Olivier atteindra son dernier record de vitesse : 73 km/h !
Nous nous remettons de ces émotions en savourant notre déjeuner sous une de ces innombrables cabanes de bambou en bordure de rizière : eh oui, nous avons retrouvé les étendues cultivées, et un paysage plus aplani. Il y a même (évidemment) un petit vent de face qui vient nous rappeler son existence, fort heureusement oubliée entre ces abruptes montagnes.

Allez, à présent, c'est plus facile: la frontière s'approche à grands pas, heu, à grands coups de pédales ! Nous y parviendrons en fin d'après-midi, en entrant dans la ville de Huay Xai qui bordent le Mékong, ce fameux fleuve-frontière. Notre vieux Lonely Planet fait mention d'un projet de pont qui devait être achevé en 2008... mais de pont, point : le projet a dû, ha ha, tomber à l'eau ! C'est donc en barque (ou jonque à moteur ?) que nous passerons la frontière, alors que le fleuve a des belles couleurs orangées du soir... à bientôt, le Laos: on a hâte de te retrouver !

 


Le
s petits détails du quotidien... 

 

Mangeons gaiement...

Notre séjour près de Vientiane fut riche en délices gastronomiques, autant grâce aux colis faramineux de France qu'aux talents de cuisinière de Toun. Passons sur les douceurs françaises, ça, vous connaissez...
On se souviendra surtout de :

  • la cuisine au wok de Toun : des morceaux de viande ou des crevettes, des oignons verts, de l'ail, des carottes en lanière, des cacahuètes de la sauce soja, du nioc mam, du bouillon de poule Knorr (ingrédient essentiel de toute cuisinère laotienne, ici ça se vend par gros pots d'un demi-kilo de poudre !), pas mal d'huile, des épices secrets dont on ignore le nom, des nouilles chinoises, du persil, et... voilà ! on essaye ?? sauf que quand c'est elle qui le cuisine, c'est bien meilleur...
  • la soupe de riz : c'est le petit-déjeuner habituel des laotiens, pour nous plutôt dégusté en repas du soir. Un énorme bol de bouillon épais où flotte non seulement du riz, mais des boulettes de viande parfumée, parfois un oeuf poché, du persil, et saupoudré de petits morceaux d'échalote frite.
  • le poisson frit : il est frais, on l'a vu en faisant le marché, et il est délicieux. On le sert entier, recouvert d'une sauce à base de tomates et d'oignons. Un délice...
  • les salades : similaires à celles que l'on mange en France, mais ici... les tomates ont vraiment du goût ! et un parfum... mmmhhh....
  • les nems : c'est censé être un plat vietnamien, mais tout le monde en mange ici. Elles sont servies coupées en morceau, accompagnées d'un bol de nouilles chinoises froides et de salade. Fourrées à craquer, croustillantes : délicieuses

  • le « sandwich pâté » ; voir les premiers carnets du laos, et sa variante, le sandwich à la vache qui rit. Un grand succès dans les rues de Vientiane.
  • les « fruit-shakes » : on choisit ses fruits (et choix il y a) et la gentille vendeuse du bord de la route les mixe dans son shaker avec une généreuse dose de lait concentré sucré et de glaçons, parfois du yaourt en option. On a adoré le « citron vert- menthe », un peu moins le « café-banane ». chacun ses goûts !
  • les saucisses-surprise : elles sont conservées dans des lanières de feuilles de bananier repliées une bonne dizaine de fois. On achète un petit paquet d'une dizaine de cm, mais une fois les feuilles déroulées, il ne reste plus qu'un minuscule bout de saucisse ! ceci dit, elles sont très parfumées et un peu acides, ça vaut le coup d'essayer. On se pose juste des questions sur leur conservation : à part la feuille de bananier, rien ne les protège, et elles restent suspendues toute la journée au soleil dans les épiceries...peut-être sont-elles préalablement fumées ? on n'a pas osé en tester trop souvent...
  • le plat national, le lap: de la viande hachée (agneau ou boeuf le plus souvent) mélangée à des feuilles de menthe, des oignons et des piments, le tout servi froid. C'est très rafraichissant et savoureux... si on aime les piments ! Toun nous a servi une version « light », mais même comme ça, c'était encore un peu fort pour nous.

Dans la série « gastronomie des jours de pédalage » : ici on retourne à la nourriture basique et simple, mais ça nous va très bien. Rien de très intéressant, à part les bananes et les clémentines, si savoureuses ici. Un élément majeur toutefois :

  • l'indispensable riz collant, le Kao Niao. C'est l'accompagnement obligatoire de tout repas laotien. Il est servi, et transporté, dans de petits paniers en osier de la taille d'un pot à crayon que l'on dépose devant vous à table. On se sert en ramassant une poignée avec les doigts, que l'on pétrit ensuite délicatement jusqu'à obtention d'une petite boule compacte que l'on peut alors engloutir. Ce riz, d'une variété particulière et cuit à la vapeur selon un procédé assez long, a vraiment un goût particulier : il est parfumé, épais et presque sucré. Le carburant idéal pour pédaleur dans les montagnes... (il est tellement collant qu'on peut même le manger en pédalant !). Mais attention, il ne se garde qu'une journée : après, il devient tout sec, plus du tout collant, et immangeable !

Les moments galère

Ils ne sont, une fois de plus, pas bien nombreux !

  • Notre départ d'Eran, avec des adieux très émus aux enfants et à Toun et Hervé...
  • Quitter Fab et Coco, qui vont nous manquer cruellement pendant un bon bout de temps...
  • Les pannes techniques, notamment nos problèmes de moyeu qui ont obligé Olivier à un démontage intégral et très délicat des roulements... l'avantage, c'est que maintenant, il sait comment tout réparer !
  • Le froid dans les montagnes : après la canicule de Thaïlande, c'était pas prévu ! nous avons tout de même dû racheter deux couvertures, des gants et des bonnets pour remplacer notre matériel « chaud » laissé à Bangkok, et certains petits matins sur les sommets ont été bien frisquets...

Les meilleurs moments

Ahhh, ces montagnes ! Comme toujours, on galère à cause des dénivelés, mais... qu'est-ce que ça vaut la peine !

  • Les panoramas grandioses des montagnes recouvertes d'une jungle vert foncé, à perte de vue.
  • Les petites villages des montagnes, leurs maisons en bambou tressé, leurs habitants si souriants et leurs enfants superbes.
  • La remontée de la Nam Ou, avec un coucher du soleil spectaculaire
  • La soirée vraiment sympa passée avec les trois compères cyclistes à Nong Kiao
  • Le marché nocturne de Luang Prabang : magique
  • Les bivouacs au sommet des montagnes dominant la jungle, qui nous offrent des petits matins perdus dans les brumes, et ceux dans les écoles des petits villages, entourés d'enfants curieux.