Globicyclette au Kirghizstan

 

 

 

Amis voyageurs, bonjour !

Serait-ce le pays le plus difficile à épeler de notre périple? Même ici, son orthographe n'est pas sûre, et change entre l'ambassade et l'office du tourisme: Kyrgyzstan ? Kirghizie ? Kirghizistan ? Savez-vous même d'ailleurs, où se situe exactement ce tout petit pays ? Avouons-le, nous n'en étions pas bien certains nous-mêmes avant de planifier notre voyage. Et pourtant ! Ce petit bout de montagne d'Asie Centrale vaut largement le détour...

Septembre 2008. Almaty. Nous voilà tout au sud du Kazakhstan, munis de nos précieux (et très chers !) visas kirghizes, et prêts à aller grimper les côtes des Tian Shan, cette chaîne de montagnes qui nous domine de ses sommets enneigés depuis notre arrivée à Almaty. C'est presque avec appréhension que l'on en lorgne les crêtes dentelées : voilà longtemps que nous n'avions pas affronté les montagnes, les vraies... depuis les Andes, finalement ! On va vraiment grimper tout là-haut ? Allez, en route pour les Alpes d'Asie Centrale ! Vous nous suivez ?

 


31 août - 2 septembre : Bishkek

 

Ne parlons pas trop vite ! Une première étape, moins sportive, nous attend avant les premiers cols à franchir: Bishkek, la capitale, et l'inévitable et détestable lot du voyageur en Asie Centrale: les visas! Encore? Malheureusement, oui: avec la fermeture de la Chine et du Tibet, nous avons renoncé à rejoindre Tibet et Népal à partir du Kirghizstan, et prendrons un avion pour Bangkok à l'issue de notre pédalage kirghize. Mais comme rien n'est simple, il nous faut retourner à Almaty, Kazakhstan, pour prendre un avion décent pour la Thaïlande (les vols au départ de Bishkek sont soit hors de prix, soit sur liste noire). Et pour ça, il nous faut ... des visas kazaques, bien sûr!

C'est donc à Bishkek que commence notre voyage dans ce nouveau pays: ça tombe bien, la capitale n'est qu'à une vingtaine de kilomètres (très plats et asphaltés) de la frontière. Et heureusement, notre route est toujours pavée d'anges gardiens: ici, ce sont des amis d'Abuadam et Inessa, nos amis d'Almaty, que nous avons ordre de contacter dès notre arrivée à Bishkek, Erken, Salta, et Julia, la vingtaine souriante, nous accueillent à bras ouverts et nous installent comme des rois dans le salon de chez Julia, qui n'a de cesse de nous cuisiner des repas et petits-déjeuners gargantuesques et absolument délicieux. Il semblerait que l'hospitalité et la gentillesse dont nous avons fait l'expérience au Kazakhstan s'étendent aussi de l'autre côté de la frontière!

Après les grands boulevards et les boutiques de luxe d'Almaty, Bishkek fait office de « petite ville »: trois grands axes, un centre qui se parcourt à pied, un unique grand centre commercial où l'on vend surtout des milliers de téléphones portables, et quelques jolies esplanades où trônent des statues à la gloire du pays, et où se promènent des dizaines d'étudiants, reconnaissables à leur tenue sobre: chemise blanche et pantalon ou jupe noirs.

Les filles les plus jeunes arborent aussi d'incroyables chouchous de dentelle blanche, deux par chevelure, qui font chacun la taille d'une main! C'est mignon sur les petites filles, plus comique sur les adolescentes... Ici aussi les filles soignent leur apparence, et ne sortiraient pas sans brushing, talons ou manucure, mais l'atmosphère reste moins prétentieuse qu'à Almaty, peut-être à cause du nombre plus restreint de boutiques de luxe? Nous en tout cas, on apprécie bien cette petite capitale, où nous parvenons même à dégoter un nouvel objectif pour l'appareil photo d'Olivier (l'ancien a rendu l'âme en Russie: trop de secousses!) et des cartes topographiques très précises du pays, ce qui nous est rarement arrivé dans les pays précédents.

Dégoter un visa kazaque, en revanche, n'est pas aussi simple. Le guichetier à l'ambassade se montre particulièrement désagréable et humiliant, et quelques discussions dans la file d'attente nous apprennent qu'il faut compter au moins une semaine avant la délivrance des visas: « Ils disent de revenir dans trois jours, mais quand on revient et après une heure de queue, ils disent la même chose! ». Horribles ambassades! Puisque c'est comme ça, nous allons reprendre le scénario des visas russes en Mongolie: on laisse nos passeports à l'ambassade, on part en vélo, et on fera un aller-retour en bus dans une semaine pour aller les chercher. On perdra quand même une matinée en queue, photocopies, formulaires et autres procédures aussi inintéressantes que nécessaires.

L'après-midi compense cependant ces heures pénibles: nous sommes invités chez Jeanne, la maman d'Erken, qui nous concocte un « thé » kirghize qui n'a rien à envier à ses homologues kazaques gargantuesques (voir les carnets du Kazakhstan). Avons-nous vraiment changé de pays? Le fait que tout le monde parle russe dans les deux cas contribue à la confusion! Nous nous retrouverons donc une fois de plus attablés devant une foule de petits délices: pain, beurre, confiture, salade, fruits au sirop, bonbons, beignets, salade de pâtes, et deux gros morceaux de mouton... sans oublier le thé qui arrose le tout! Le pire, c'est que ni Jeanne, ni Erken ne mangent grand-chose: « nous on a mangé avant! ». Mais, heu... nous aussi !

Alors que nous peinons à digérer ce goûter, Jeanne et son fils ont une nouvelle surprise pour nous: ils sont invités pour ce soir à un « anniversaire d'enterrement » (ça ne vous rappelle rien?) et, conformément à l'hospitalité kirghize, nous signalent que nous serons aussi de la partie. Nous y serons accueillis avec enthousiasme, malgré notre « look » de routards qui détonne un peu sur les jolies robes et costumes des autres invités... Encore une soirée riche en conversations et en petits délices locaux!
Mais avouons-le, malgré l'accueil de rois que nous recevons ici, les jambes nous démangent de retourner sur les pédales: l'appel des montagnes, si proches, sonne l'heure du départ!

 


3-9 septembre : Som Kol : une beauté qui se mérite

 

Les premiers kilomètres après Bishkek sont plats et peu intéressants, mais bien vite nous bifurquons, enfin, vers le sud et vers ce massif qui semble nous attendre... et c'est réciproque! Nous avons beau râler quand la pente se fait trop forte, il faut avouer que l'on s'ennuie un peu quand tout est plat!
Nous entamons donc avec bonheur les premières montées, et à un bon rythme: la route est encore asphaltée, et il y a même un petit vent de dos qui nous fait ressortir nos « voiles ». En route, moussaillons! La plaine a laissé place à une vallée qui s'encaisse de plus en plus, et bientôt ce sont des lacets que nous gravissons, à la redoutable vitesse de 5 km/h. Et nous voici à notre premier col! Mais point de panorama sur l'autre côté: devant nous se dresse le noir gouffre d'un énorme tunnel... et le bras levé d'un policier (tiens? des gens? on n'avait croisé personne depuis hier!). « Tunnel interdit aux vélos! » comprend-t-on. Il semble que les policiers craignent notre asphyxie par gaz d'échappement. Il faut dire que le trafic des camions est étonnamment intense, ce qui nous fournit d'ailleurs un moyen de passage: en vélo, non, mais en camion? Un quart d'heure et deux routiers sympas plus tard, nous voilà de l'autre côté du tunnel, avec des poumons à peu près propres, et une bouteille de soda en cadeau: vivent les tunnels!

Surtout que celui-ci débouche sur un panorama grandiose de plateau ocre et brumeux en contrebas, somptueux dans les couleurs du soir et qui décore à merveille la fabuleuse descente qui nous attend: youhou, vivent aussi les montagnes!
Nos coups de pédale nous amènent donc sur un plateau aux herbes rases et jaunes: l'automne est là! Nous avons définitivement quitté la «civilisation»: l'asphalte a disparu, et les seules habitations que nous croisons sont à présent des yourtes, dont les occupants vendent du fromage séché sur le bord de la route.

Les camions ont disparu vers le sud du pays, et nous nous retrouvons aussi seuls qu'en Mongolie: on aime! De temps en temps, nous dépassons un berger à cheval, qui semble se demander ce que nous fabriquons ici, loin de tout et hors saison touristique: les fous! (oui, on sait, on sait...). Nous croisons tout de même de temps en temps des petits villages de maisons « en dur », peuplés d'écoliers en uniforme qui font la course avec nos vélos .

On se ravitaille en eau aux nombreuses pompes qui bordent la grand-rue de chaque village, et en vivres dans de minuscules épiceries qui vendent de grands pains ronds et plats, moelleux et croustillants, qui seront notre nourriture de base (avec les pâtes) pour les semaines à venir.

Puis c'est une vallée sauvage, aux versants abrupts et colorés de teintes ocres superbes, que nous descendons en sortant nos appareils photo tous les 300m. C'est fou comme quelques crêtes enneigées à l'horizon embellissent un paysage!

Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir décidé de profiter des panoramas kirghizes: alors que nous soufflons un peu au milieu d'une nouvelle ascension d'un col un peu plus redoutable que le précédent (sans asphalte, c'est moins facile...), voilà deux cyclistes qui nous rejoignent: « Ah ah, on savait bien que vous étiez devant nous, on a reconnu les traces des pneus Schwalbe! ».

Voici Hester et Matthys, un couple hollandais qui a pris un mois de vacances pour venir arpenter le Kirghizstan. Ça tombe bien, les cols, c'est toujours plus facile à grimper en groupe! Et les efforts, comme la beauté des panoramas partagés, ça rapproche... On devient vite très copains, et on partagera avec eux un antique Snickers ramené de Russie pour fêter notre arrivée au col (mais en vitesse, ça caille par ici!). C'est fou à quel point le voyage exalte les petits plaisirs... (la douche, par exemple! pensez-y demain matin sous l'eau chaude!...). Et là, ça se mérite: nous battons aujourd'hui notre record de dénivelé quotidien, avec 1433 m, sur de la piste, messieurs-dames! (quiconque a testé le pédalage sur bitume et mauvaise piste comprendra la valeur de cette précision...).

Nous voilà donc inséparables! Nous ferons un bon bout de chemin ensemble, dont la mémorable descente qui suit vers le lac de Som Kol, dans les couleurs du soir et le froid mordant qui monte: qu'il est beau, ce lac! Bleu profond, entouré de plaines dorées, majestueusement solitaire au milieu de ces montagnes, à l'exception de quelques yourtes fumantes qui résistent courageusement à l'exode vers la chaleur des villes.

Et ça tombe bien, car nous nous poserons pour la nuit près de l'une d'entre elles, dont les habitants nous inviterons à partager le thé. Brr, avec les -5 degrés qu'il fait depuis que le soleil a disparu, on avait bien besoin d'un peu de chaleur avant de monter les tentes! Assis en rond autour du poêle fumant, kirghizes ou touristes, veste gore-tex ou fourrure de yack, nous partageons le même bonheur des mains froides qui se réchauffent, à l'abri de la nuit noire dehors...
Au matin, le givre aura pris d'assaut tentes et vélos, et ce sont les chèvres de nos voisins qui viendront nous réveiller: vite, sur les vélos, qu'on se réchauffe! Et le paysage du lac sous le grand ciel bleu vaut tous les cols et frimas du monde: une merveille! Nous garderons de cette journée un souvenir exaltant de pédalage en pleine carte postale...

 

9 -11 septembre : étape « appro » à Narin et aller-retour express à la capitale

 
Après cette mémorable visite des hauteurs de Som Kol, il nous reste quelques beaux (et raides!) cols à gravir en compagnie de nos deux nouveaux amis, et une série de montées sportives qui seront récompensées par des panoramas époustouflants de vallées multicolores et désertes. Qu'elles sont belles, les montagnes kirghizes!

Mais nous revoilà déjà près de la prochaine ville, Narin. C'est le moment de remplir nos sacoches, qui commençaient à se vider dangereusement! C'est aussi celui de quitter Hester et Matthys, qui poursuivent leur pédalage alors qu'il nous faut, de notre côté, revenir à Bishkek pour récupérer nos visas kazaques (soupir...). Ils nous laisseront, cachées dans nos sacoches, des barres de « nuts » en souvenir du snickers partagé au sommet! Merci les copains!
Nous laissons donc à contre-coeur nos vélos à la garde de l'office de tourisme de la ville (un tout petit bureau tenu par un jeune homme adorable), et prenons un taxi collectif pour un aller-retour express à Bishkek. Enfin express... nous y passerons tout de même une nuit, hébergés cette fois chez Makhrabat, une jeune femme croisée en ville lors de notre premier passage, et qui nous avait proposé de passer chez elle à notre retour ici. Nous sommes une fois de plus choyés et sur-nourris par sa soeur et ses jeunes et jolies colocataires, et récupérons (ouf !) nos visas sans souci. On peut repartir dans nos montagnes !

 


12 – 15 septembre : immersion en contrées sauvages

 

Nous repartons de Narin avec des sacoches débordantes de kilos de pâtes, flocons d'avoine, lait en poudre et biscuits secs: c'est que nous allons passer les prochaines semaines loin de tout village, sur des sentiers perdus en pleine montagne.

A nous les solitudes des sommets! heu, des vallées, au moins !
La piste, très caillouteuse mais tout de même praticable, nous amène de cahot en cahot au creux de vallées de toute beauté. L'automne qui arrive a coloré la végétation de teintes flamboyantes, qui rivalisent avec les dégradés d'ocre des versants. Nous pensions remonter tranquillement la rivière, mais même en la longeant de près, nous ne cessons de monter et

descendre le long de pentes bien raides: 1050 m de dénivelé ce jour-là! Mais l'une des grandes lois du vélo (avec « Le Vent Sera Toujours de Face », « Tu Monteras les ¾ du Temps et Redescendras Tout Juste Après » et « La Pluie Cesse Dès que les Sur-Sacoches Sont Mises » ), c'est « Si ça Monte, c'est que c'est Beau, si c'est Beau, c'est que ça Monte » . Alors... on aime! (et on souffle!). Et là, non seulement la vallée est superbe, mais elle finit par nous amener sur des plateaux magnifiques, pelés par le froid et le vent, bordés de haut glaciers, royaumes des chevaux sauvages et d'énormes yacks nonchalants qui se poussent à peine pour nous laisser passer.

Les températures se font de plus en plus fraîches, et le matin, il nous faut dégeler l'eau des gourdes pour pouvoir boire! De jour comme de nuit, on ne quitte plus gros gants et bonnets... mais le spectacle du lever de soleil sur la tente couverte de neige vaut tous les doigts blancs du monde !

 


16 – 18 septembre : la « Vallée de la Mort » (tataaan !)

 
Régulièrement, la piste est barrée par le passage d'une rivière (ce qui explique aussi notre totale solitude: ici, même les 4*4 ne passent pas!). Il nous faut donc dégréer nos vélos et tout transporter à la main, les pieds nus dans l'eau glacée (glacée, c'est le cas de le dire, car des morceaux de glace flottent à la surface!): ouille! Et peu à peu, la piste devient de plus en plus grossière... pour finir par disparaître totalement sous les gros rochers et les mousses. Nous pédalons sur le tout, en tentant tant bien que mal de garder notre équilibre. Ben mince alors, il y a pourtant bien une piste d'indiquée sur la carte!

Un homme à cheval croisé la veille nous avait bien conseillé de prendre un autre chemin (du moins c'est ce que nous avions compris de son kirghize), mais nous avions décidé d'essayer tout de même de passer par cette vallée isolée fort tentante... en plus, c'est de la descente, ça ne devrait pas être si terrible que cela! non?? grave erreur...(numéro 1). Nous voici à l'orée de ce que nous appellerons plus tard « La Vallée de la Mort » (avec les majuscules s'il vous plait, et un ton lugubre de rigueur). Le chemin n'existe plus, mais nous commettons l'erreur (numéro 2) de penser que nous allons le retrouver sous peu, juste là derrière cette colline, c'est pas ça? Ah non, ce n'était pas ça. Oui mais là, un peu plus en contrebas? Ah non, pas ça non plus. Et à présent, vu qu'effectivement, la vallée descend, il devient trop difficile de tout remonter pour retourner à la bifurcation de départ: autant continuer en descente! (erreur numéro 3). Plus de chemin du tout, juste parfois les traces indisctinctes d'un -mauvais- sentier de randonnée. Impossible de pédaler sur ce terrain de mousses et de gros cailloux.

Nous commençons à pousser les vélos, mais la neige de la veille, qui commence à fondre, transforme le tout en une gadoue collante qui s'accroche à nos pneus, jantes, freins etc. et empêche les roues de tourner. Il nous faut nous arrêter tous les 50 mètres pour faire réapparaître les roues derrière le tas de boue, et la progression en prend un coup. Pour rincer tout ça, voici que la vallée nous offre une succession de rivières relativement infranchissables, que nous passons tout de même en nous trempant jusqu'aux cuisses et en priant pour ne pas finir étalés dans l'eau à 5 degrés. Hmmm, ça pourrait être mieux!

Mais ça, on en a, et nous savons que cette Vallée de la Mort (rappel : ton lugubre) aura une fin... et surtout, le paysage reste à couper le souffle. On peste, on porte, on a froid aux pieds dans l'eau glacée, mais on prend aussi plein de photos!

Nous finissons par renoncer à retrouver l'hypothétique chemin, et cherchons à présent seulement à progresser vers l'extrémité de la vallée, quelque-part à 15 km en contrebas. Allons-nous y arriver un jour?
Nous en mettrons deux et demi, dont le second passé entièrement à porter les vélos et les sacoches en de multiples allers-retours: nous battons notre record de faible distance parcourue: 8 kilomètres! Étrangement, nous ne sommes pas non plus en plein désespoir: à l'inverse de nos déboires en Bolivie sur la « Laguna Khara » maudite (voir carnets de Bolivie), ici nous avons de l'eau et des vivres à profusion. Il faut juste du courage!

Et en fin d'après-midi du second jour, l'improbable apparaît: une silhouette sur la colline devant nous, qui nous fait signe! Et dégringole le pierrier où nous évoluons péniblement pour venir nous aider à porter les vélos. C'est le jeune papa d'une famille qui s'est attardée dans sa yourte « d'été », et qui n'en revient pas de nous voir arriver de ce côté-ci de la vallée. « Vous venez... de là?? », comprend-t-on en Kirghize. « Mais c'est impossible... il n'y a pas de route! ». Oui, on avait remarqué... Voici le frère qui arrive à la rescousse, et bientôt nos vélos et sacoches sont sortis des éboulis. « C'est bientôt fini, la route est là dans 500 mètres! ». « Mais venez d'abord prendre le thé et vous reposer... ».

Nous voilà donc invités sous la yourte de cette sympathique famille qui nous regarde vraiment comme des extra-terrestres. On avoue, un peu de thé sucré et un abri où s'asseoir au chaud étaient exactement ce dont nous avions besoin! Ça, plus la route toute proche qui met fin à nos efforts: tout d'un coup tout va mieux!

Au point que lorsque nous arrivons enfin sur cette route, une piste de gravier qui nous semble alors magnifique et merveilleusement plate, nous oublions soudainement nos promesses de redescendre immédiatement vers des contrées plus « civilisées » pour y reprendre des forces. Car c'est trop tentant: si à gauche, ça descend, à droite, à « à peine » 900 m de dénivelé de là, il y a un plateau sûrement magnifique et désert dont les sommets enneigés n'attendent que nous... Allez, avec tout ce qu'on a déjà fait, 900 m, c'est pas grand chose: à droite, toutes!

 

19 - 22 septembre : Globicyclette dans l'Himalaya ?

 

C'est donc reparti pour une bonne journée d'ascension et de lacets serrés, mais après ces derniers jours, c'est presque de la rigolade (enfin après coup, c'est plus facile à dire !).

Et soudain, au détour du dernier lacet et dans le rugissement d'un vent glacial, nous arrivons sur un plateau grandiose, balayé par les rafales, vide de toute végétation autre que des mousses dorées, et parsemé de petits lacs d'un bleu nuit. Nous sommes à près de 4000 mètres, et le ciel au zénith est tellement bleu et pur qu'il est presque noir. Tout autour du plateau, les sommets blancs gigantesques des Tian Shan pointent des arrêtes tranchantes et arborent des versants couverts de neige poudreuse que le vent soulève. Nous nous sentons tout petits, exaltés par ce paysage de bout du monde. On y plante la tente en plein milieu!

Et enfin, nous prenons le temps d'un peu de repos: pas de pédalage demain! Mais pas question non plus de rester sous la tente: allez donc mettre un glacier sous le nez d'Olivier sans qu'il réagisse! et là, il y en a des centaines... Nous décidons donc d'effectuer l'ascension (à pied !) du sommet voisin. En guise d'équipement de haute montagne, Olivier bricole des crampons et un piolet avec des tiges de ferraille trouvées la veille sur la route, et le sac étanche de BOB fera un sac à dos de fortune. Nous partons à l'aube en laissant la tente sous la garde des vélos (ce n'est pas comme si il y avait beaucoup de passage), et finalement la randonnée se révèle assez facile.

Et quelle récompense au sommet ! 4630 mètres, un vent de tous les diables, et une vue imparable sur les sommets alentours. Où que l'on regarde, des montagnes blanches acérées bordent l'horizon, à perte de vue. On se croirait sur l'Everest! Un moment magique...

Mais le froid devient de plus en plus pénible, d'autant que le vent ne faiblit pas: après cette mémorable ascension, nous décidons de redescendre enfin vers des régions un peu plus chaudes. Les nuits sous tente à -10 degrés n'ont qu'un charme très éphémère! Et on avoue, on commence à ressentir la fatigue des derniers jours. Allez, c'est l'heure de quitter les montagnes!

23 – 27 septembre : repos sur les berges du lac Issy Kol

 

On redescend donc à toute allure la route impeccable que nous avions retrouvée deux jours auparavant, et qui nous ramène à des altitudes plus décentes.

Tout au bout de la vallée, une grande étendue bleue se dessine: le lac Issy Kol, fierté nationale, second plus grand lac d'altitude au monde après le lac Titicaca au Pérou. C'est une véritable petite mer intérieure aux eaux perpétuellement réchauffées par l'activité volcanique de ses soubassements. Enfin, réchauffées... elles sont juste à 15 degrés au lieu de 5! Mais elles ne gèlent jamais...


C'est d'ailleurs ce qui lui vaut son nom, qui signifie « eaux chaudes » en Kirghize. Ce fut aussi la station balnéaire de prédilection de toute la classe huppée russe pendant l'ère soviétique, et le camp de repos de Youri Gagarine! Aujourd'hui cependant, l'ensemble est un brin à l'abandon: les bourgeois russes sont partis bronzer sur des rivages plus tropicaux, et le tourisme international n'est pas encore à son apogée dans ce pays méconnu des occidentaux (malgré les efforts remarquables du gouvernement, qui a même posté des offices de tourisme dans les villages les plus reculés des vallées kirghizes!). Les berges sud du lac sont donc parsemées de vieux bâtiments soviétiques très laids et à l'abandon. Cela pourrait être plutôt lugubre, mais le bleu joyeux du lac et ses berges de sable ocre font oublier la décrépitude des quelques blocs de béton qui le bordent. Nous en tout cas, nous sommes ravis de pouvoir enfin ôter bonnets et doudounes et cuisiner le repas du soir sans être entortillés dans le duvet.

Nous longeons toute la côte sud, bivouaquant sur la plage et flânant le long des côtes. C'est l'heure des crêpes, et des pommes que l'on nous offre sur la route, et que nous n'avons jamais trouvées aussi délicieuses et juteuses qu'ici... On en profite aussi pour faire des lessives et nettoyer les vélos qui ont bien souffert de leur passage dans la boue, la neige et les rivières... Bref, repos! Puis on finit par faire demi-tour pour rejoindre Karakol, petite ville blottie au coin sud-est du lac...

 

27 septembre – 2 octobre : Karakol, et randonnées en bonne compagnie

 

C'est qu'on nous avait vanté la magie des treks à cheval sur les hauteurs de Karakol, et pour une fois, nous aimerions bien troquer quelque temps nos vélos contre des montures plus animales...(bien qu'on soit bien moins à l'aise à cheval qu'en vélo couché!). Mais nous découvrons sur place que la saison est déjà trop avancée. Avec l'approche de l'hiver, tous les habitants ont redescendu leur bétail, et donc leurs chevaux, des montagnes: on avait remarqué effectivement qu'il n'y avait pas foule, là-haut! Ça sera donc à pied que nous irons faire un petit trek montagnard.
On fait connaissance avec deux autres couples de voyageurs, qui cherchent eux aussi à aller arpenter les vallées surplombant la ville. Nous partons donc à six, avec Diana et Rob, néo-zélandais, et Esko et Maya, finlandais, découvrir la très jolie vallée d'Alakol. On passera une soirée bien sympa dans un petit gîte de montagne rien que pour nous, à jouer aux cartes et se raconter nos voyages au coin du feu. On apprécie ce petit écart à notre vie de pédaleurs!

Le lendemain, nous ferons une randonnée avec Diana et Rob pour aller saluer le petit lac d'Alakol, célèbre pour ses eaux turquoises. Bon, on aurait pu avoir un temps un brin plus clément: nous finirons la rando sous la neige et dans les nuages, mais nous aurons tout le même eu le temps d'apercevoir un instant le petit lac tout vert du haut du col: très joli!

Et même sans paysage, la journée passée avec ce couple bien sympa vaudra nos halètements sur les pierriers: Rob et Diana voyagent eux aussi à vélo, et nous parlent avec enthousiasme de leur pédalage au Tadjikistan, sur la célèbre Pamir Highway. Ça donne bien envie ! Pas de doute, il nous faudra d'autres voyages en vélo pour aller voir ça de plus près...

De retour à Karakol, nous sommes hébergés par le père et la grande soeur de Makrabat (cette jeune femme croisée à Bishkek), et une fois de plus, la tradition d'hospitalité kirghize se trouve honorée. Nous avons droit à de copieux thés chargés de friandises, mais aussi à la « douche-sauna » locale: ici, les salles de bain sont toujours dans une cabane à l'extérieur de la maison, dans laquelle un gros poêle à bois chauffe l'eau et transforme l'endroit en un sauna fabuleux. Ici, pas d'eau courante, juste une énorme bassine et un broc pour y piocher, mais le confort moderne n'est pas nécessaire: on y prendra les douches les plus délicieuses de notre voyage! De quoi, d'ailleurs, nous consoler de la perte de notre mascotte, Gugus. Nous transportions cette petite peluche verte depuis notre départ de France, bien calée dans l'une des poches de sacoche de Philéas et l'avions sauvé in-extrémis des mains des enfants rapaces d'un village marocain (cf carnets du Maroc). Mais Gugus n'ira pas plus loin que le Kirghisztan: nous commettons l'erreur de le laisser dans les sacoches alors que nous allons faire un tour sur internet. Une bande d'écoliers passe, et... Gugus n'est plus là! On se console en se disant qu'il est peut-être devenu l'unique peluche d'un gamin kirghize qui n'a pas dû en voir beaucoup d'autres...
Notre retour « en ville » tombe aussi très, très bien car une grosse casse survient chez Philéas: son guidon, tordu et détordu après de nombreuses chutes (attention on n'a pas dit que c'était Olivier qui était dessus lors de celles-ci!), ne résiste pas à la dernière tentative de redressage (voir méthode dans « Trucs et Astuces ») : il se rompt d'un coup net! Aïe ... heureusement que cela nous arrive ici et pas au milieu de la Vallée de la Mort! (quoique, de toutes façons on portait nos vélos dans cette vallée!). Olivier passera plusieurs heures en bricolage de fortune, mais parviendra à reconstituer le guidon en y insérant une barre de métal arrachée à une vieille poussette, qu'il fera tenir avec vis, boulons et perceuses. Et c'est reparti pour 10 000 km!

 

2 – 6 octobre : dernière ligne (pas droite) avant la frontière

 

Ça tombe bien, parce qu'il est grand temps de se remettre en route. Nous effectuons un dernier petit tour dans les belles vallées tout en ocres rouges débouchant sur le lac, avant de mettre le cap vers le nord-est du pays, et la frontière kazaque. Nous avons retrouvé l'asphalte, et nous roulons à un bon train entre des forêts superbes aux arbres et buissons dorés par l'automne. Après les dénivelés des semaines précédentes, cette dernière centaine de kilomètres nous semblerait presque facile!
Après la forêt, ce sont de gros nuages d'orage qui nous accueillent à la frontière kazaque, qui semble bien ne jamais vouloir pointer le bout de son nez dans cette grande plaine caillouteuse: on arrive juste à temps au poste frontière pour monter la tente et s'abriter du déluge qui tombe. Tant pis, on passera la barrière demain matin!

L'automne est vraiment là à présent, et nous sommes contents de ne pas affronter ce genre d'orage dans les montagnes qui nous avons laissées loin derrière. Maintenant, retour aux plaines kazaques, on se contentera d'admirer de loin les froids sommets enneigés! Mais on sait à présent à quel point c'est beau, tout là-haut... Et promis, on y retournera! après le Tadjikistan, par exemple?...

 


Le
s petits détails du quotidien... 

 

Mangeons gaiement...

Heu... comment dire... la gastronomie Kirghize ne nous a pas vraiment marqués, occupés que nous étions à nous remplir la panse de pâtes à la tomate au milieu de nulle part! Mais tout de même, quelques éléments :

  • Les fraises! les meilleures du monde probablement... C'est d'ailleurs notre premier souvenir du pays, juste après avoir passé la frontière: « Des petites mamies qui vendent des fraises sur le bord de la route. Des fraises! Bien entendu nous ne pouvons résister: pour 300 soms (la monnaie kirghize, soit 1.5 euro), nous voici en possession d'un kilo de petites fraises rouges qui dégagent une odeur à se damner: raah, des fraises qui sentent la fraise! Amanda pense à son papa qui renâcle aujourd'hui à manger ces fraises sans goût et pleines d'eau du supermarché, trop fidèle au souvenir des fraises de son enfance. Mais celles-ci sont absolument délicieuses, et nous ne pouvons résister à la tentation d'en reprendre une, et une autre, et encore une... si bien que 10 minutes plus tard... il ne reste que les queues ! et une mamie époustouflée de nous voir dévorer sa récolte sur place... ». Les kirghizes en font d'ailleurs une confiture à se damner elle aussi, que l'on mange dans le thé, comme du miel, ou bien sur des petits pains... On n'en a malheureusement jamais trouvé dans les magasins: ici, tout est fait-maison!
  • Le thé, élément fondamental de l'accueil de l'étranger, servi à profusion et avec de grandes rasades de sucre, et souvent aussi du lait concentré. Mais il est aussi un prétexte pour l'accompagner de piles de gâteaux secs, tartines de confiture (cf les fraises) et petits beignets... des vrais goûters de rois! Il y a d'ailleurs une manière particulière de servir le thé: celui-ci est très fortement infusé dans une toute petite théière, puis chacun se sert un fond de ce « concentré de thé », qu'il dilue ensuite à sa convenance avec de l'eau chaude. Pratique, prêt à toute heure, et économique!
  • Comme en Mongolie ou au Kazakhstan... du mouton, du mouton! (et même, que du mouton.. le yack ne doit pas être très bon!). On a testé pour vous le « shurpa », un plat de mouton accompagné d'une soupe de légumes, et on a eu la surprise de découvrir que le « besh barmak », plat typique kazaque croyait-on, est ici aussi un emblème national! (cf carnets du Kazakhstan). On nous a aussi servi du « plov », un plat de riz accompagné de viande d'agneau et de carottes. Pas mauvais, et parfait pour réchauffer les cyclistes glacés! Ça, c'est pour les plats identifiables... On ose mentionner un plat à base entièrement de graisse de mouton, vous savez, ce gras qui entoure les côtelettes? mais sans les côtelettes...tout à fait au goût d'Olivier mais qu'Amanda a eu du mal à finir...
  • Nous avons aussi retrouvé le « koumis » kazaque, ce lait de jument fermenté, mais aussi plus simplement l'ayran, le délicieux yaourt frais (de vache! ou de yack??) que toute bonne yourte a en réserve.
  • Côté fromage, on est encore loin du Saint Marcellin: ici on mange de toutes petites boules d'un fromage jaune et sec, assez goûteux mais qui a parfois tendance à s'avérer plus dur que du bois! Le secret: le mâchouiller longuement avant de le « râper » contre ses dents...
  • Ah, on oubliait : les pâtes cuites à 4000 mètres sont toujours aussi immondes! mais quand on a faim...
  • Et que faire quand on a épuisé les pâtes, le pain, les oeufs, les soupes?? ah, n'oublions pas qu'Amanda garde toujours au fond de ses sacoches une réserve de farine... au cas où. Et avec un peu de farine, un peu d'eau, du sel, du concentré de tomate, des herbes de provence... voici une tartine à la provençale, c'est pas de la pizza mais c'est pas loin ! mmhhh... La version sucrée, à la cannelle, n'est pas mal non plus.

Les moments galère

  • les visas bien sûr ! (on commence à s'y faire...)
  • le froid, qui paralyse les doigts, engourdit la bouche, et démotive le « saut du duvet » matinal ... un peu, ça va, beaucoup, ça fatigue...
  • La Vallée de La Mort (tataaan !)...
  • devoir finir son bol de koumis rance pour ne pas offenser le Kirghize complètement paf qui nous le propose, pendant qu'il essaie de monter sur nos vélos et menace de casser nos béquilles
  • les mauvaises pistes très raides et très caillouteuses (quand même...)

Les meilleurs moments

  • les fraises!
  • le pédalage autour de Som Kol
  • les rencontres avec Hester et Mathias et Rob et Diana
  • l' « Everest »!
  • l'invitation sous la yourte qui signe notre sortie de La Vallée de La Mort
  • l'hospitalité incroyable et le sourire doux de tous les kirghizes
  • le grand ciel bleu qui ne nous a quasiment jamais quittés (sauf la nuit?)
  • la beauté et la solitude des montagnes kirghizes...