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Globicyclette au
Kirghizstan
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Amis
voyageurs, bonjour !
Serait-ce le
pays le plus difficile à épeler de notre périple?
Même ici, son orthographe n'est pas sûre, et change
entre l'ambassade et l'office du tourisme: Kyrgyzstan ? Kirghizie
? Kirghizistan ? Savez-vous même d'ailleurs, où se
situe exactement ce tout petit pays ? Avouons-le, nous n'en étions
pas bien certains nous-mêmes avant de planifier notre voyage.
Et pourtant ! Ce petit bout de montagne d'Asie Centrale vaut largement
le détour...
Septembre 2008. Almaty. Nous voilà tout
au sud du Kazakhstan, munis de nos précieux (et très
chers !) visas kirghizes, et prêts à aller grimper les
côtes des Tian Shan, cette chaîne de montagnes qui nous
domine de ses sommets enneigés depuis notre arrivée à Almaty.
C'est presque avec appréhension que l'on en lorgne les crêtes
dentelées : voilà longtemps que nous n'avions pas affronté les
montagnes, les vraies... depuis les Andes, finalement ! On va vraiment
grimper tout là-haut ? Allez, en route pour les Alpes d'Asie
Centrale ! Vous nous suivez ?
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31 août - 2 septembre : Bishkek
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Ne parlons
pas trop vite ! Une première étape, moins sportive,
nous attend avant les premiers cols à franchir: Bishkek, la
capitale, et l'inévitable et détestable lot du voyageur
en Asie Centrale: les visas! Encore? Malheureusement, oui: avec
la fermeture de la Chine et du Tibet, nous avons renoncé à rejoindre
Tibet et Népal à partir du Kirghizstan, et prendrons
un avion pour Bangkok à l'issue de notre pédalage kirghize.
Mais comme rien n'est simple, il nous faut retourner à Almaty,
Kazakhstan, pour prendre un avion décent pour la Thaïlande
(les vols au départ de Bishkek sont soit hors de prix, soit
sur liste noire). Et pour ça, il nous faut ... des visas kazaques,
bien sûr!
C'est donc à Bishkek que commence notre voyage dans ce nouveau
pays: ça tombe bien, la capitale n'est qu'à une vingtaine
de kilomètres (très plats et asphaltés) de la frontière.
Et heureusement, notre route est toujours pavée d'anges gardiens:
ici, ce sont des amis d'Abuadam et Inessa, nos amis d'Almaty, que nous
avons ordre de contacter dès notre arrivée à Bishkek,
Erken, Salta, et Julia, la vingtaine souriante, nous accueillent à bras
ouverts et nous installent comme des rois dans le salon de chez Julia,
qui n'a de cesse de nous cuisiner des repas et petits-déjeuners
gargantuesques et absolument délicieux. Il semblerait que l'hospitalité et
la gentillesse dont nous avons fait l'expérience au Kazakhstan
s'étendent aussi de l'autre côté de la frontière!
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Après les grands
boulevards et les boutiques de luxe d'Almaty, Bishkek fait office
de « petite ville »: trois grands axes, un centre
qui se parcourt à pied, un unique grand centre commercial
où l'on vend surtout des milliers de téléphones
portables, et quelques jolies esplanades où trônent
des statues à la gloire du pays, et où se promènent
des dizaines d'étudiants, reconnaissables à leur
tenue sobre: chemise blanche et pantalon ou jupe noirs. |
Les filles
les plus jeunes arborent aussi d'incroyables chouchous de dentelle
blanche, deux
par chevelure, qui font chacun la taille d'une main! C'est mignon
sur les petites filles, plus comique sur les adolescentes... Ici
aussi les
filles soignent leur apparence, et ne sortiraient pas sans brushing,
talons ou manucure, mais l'atmosphère reste moins prétentieuse
qu'à Almaty, peut-être à cause du nombre plus restreint
de boutiques de luxe? Nous en tout cas, on apprécie bien cette
petite capitale, où nous parvenons même à dégoter
un nouvel objectif pour l'appareil photo d'Olivier (l'ancien a rendu
l'âme en Russie: trop de secousses!) et des cartes topographiques
très précises du pays, ce qui nous est rarement arrivé dans
les pays précédents.
Dégoter un visa
kazaque, en revanche, n'est pas aussi simple. Le guichetier à l'ambassade
se montre particulièrement
désagréable et humiliant, et quelques discussions
dans la file d'attente nous apprennent qu'il faut compter au
moins une semaine
avant la délivrance des visas: « Ils disent de revenir
dans trois jours, mais quand on revient et après une heure
de queue, ils disent la même chose! ». Horribles
ambassades! Puisque c'est comme ça, nous allons reprendre
le scénario
des visas russes en Mongolie: on laisse nos passeports à l'ambassade,
on part en vélo, et on fera un aller-retour en bus dans
une semaine pour aller les chercher. On perdra quand même
une matinée
en queue, photocopies, formulaires et autres procédures
aussi inintéressantes que nécessaires.
L'après-midi compense
cependant ces heures pénibles: nous sommes invités
chez Jeanne, la maman d'Erken, qui nous concocte un « thé » kirghize
qui n'a rien à envier à ses homologues kazaques
gargantuesques (voir les carnets du Kazakhstan). Avons-nous vraiment
changé de pays? Le fait que tout le monde parle russe
dans les deux cas contribue à la confusion! Nous nous
retrouverons donc une fois de plus attablés devant une
foule de petits délices: pain, beurre, confiture, salade,
fruits au sirop, bonbons, beignets, salade de pâtes, et
deux gros morceaux de mouton... sans oublier le thé qui
arrose le tout! Le pire, c'est que ni Jeanne, ni Erken ne mangent
grand-chose: « nous on a mangé avant! ».
Mais, heu... nous aussi ! |
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Alors que nous peinons à digérer
ce goûter, Jeanne
et son fils ont une nouvelle surprise pour nous: ils sont invités
pour ce soir à un « anniversaire d'enterrement » (ça
ne vous rappelle rien?) et, conformément à l'hospitalité kirghize,
nous signalent que nous serons aussi de la partie. Nous y serons
accueillis avec enthousiasme, malgré notre « look » de
routards qui détonne un peu sur les jolies robes et
costumes des autres invités... Encore une soirée
riche en conversations et en petits délices locaux!
Mais avouons-le, malgré l'accueil de rois que nous recevons ici,
les jambes nous démangent de retourner sur les pédales:
l'appel des montagnes, si proches, sonne l'heure du départ!
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3-9 septembre : Som Kol : une beauté qui se mérite
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Les premiers kilomètres après
Bishkek sont plats et peu intéressants, mais bien vite nous
bifurquons, enfin, vers le sud et vers ce massif qui semble nous
attendre... et c'est réciproque! Nous avons beau râler
quand la pente se fait trop forte, il faut avouer que l'on s'ennuie
un peu quand tout est plat!
Nous entamons donc avec bonheur les premières montées,
et à un bon rythme: la route est encore asphaltée, et
il y a même un petit vent de dos qui nous fait ressortir nos « voiles ».
En route, moussaillons! La plaine a laissé place à une
vallée qui s'encaisse de plus en plus, et bientôt ce sont
des lacets que nous gravissons, à la redoutable vitesse de 5
km/h. Et nous voici à notre premier col! Mais point de panorama
sur l'autre côté: devant nous se dresse le noir gouffre
d'un énorme tunnel... et le bras levé d'un policier (tiens?
des gens? on n'avait croisé personne depuis hier!). « Tunnel
interdit aux vélos! » comprend-t-on. Il semble que les
policiers craignent notre asphyxie par gaz d'échappement. Il
faut dire que le trafic des camions est étonnamment intense,
ce qui nous fournit d'ailleurs un moyen de passage: en vélo,
non, mais en camion? Un quart d'heure et deux routiers sympas plus
tard, nous voilà de l'autre côté du tunnel, avec
des poumons à peu près propres, et une bouteille de soda
en cadeau: vivent les tunnels!
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Surtout
que celui-ci débouche
sur un panorama grandiose de plateau ocre et brumeux en contrebas,
somptueux dans les couleurs du soir et qui décore à merveille
la fabuleuse descente qui nous attend: youhou, vivent aussi
les montagnes!
Nos coups de pédale nous amènent donc sur un
plateau aux herbes rases et jaunes: l'automne est là!
Nous avons définitivement quitté la «civilisation»:
l'asphalte a disparu, et les seules habitations que nous croisons sont à présent
des yourtes, dont les occupants vendent du fromage séché sur
le bord de la route. |
Les camions ont disparu vers le sud du
pays, et nous nous retrouvons aussi seuls qu'en Mongolie: on aime!
De temps
en temps, nous dépassons un berger à cheval, qui semble
se demander ce que nous fabriquons ici, loin de tout et hors saison
touristique: les fous! (oui, on sait, on sait...). Nous croisons
tout de même de temps en temps des petits villages de maisons « en
dur », peuplés d'écoliers en uniforme qui font
la course avec nos vélos .
On se ravitaille en
eau aux nombreuses pompes qui bordent la grand-rue de chaque
village,
et en vivres dans de minuscules épiceries qui vendent
de grands pains ronds et plats, moelleux et croustillants, qui
seront notre nourriture de base (avec les pâtes) pour les
semaines à venir.
Puis c'est une vallée sauvage,
aux versants abrupts et colorés
de teintes ocres superbes, que nous descendons en sortant nos appareils photo
tous les 300m. C'est fou comme quelques crêtes enneigées à l'horizon
embellissent un paysage!
Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir
décidé de profiter
des panoramas kirghizes: alors que nous soufflons un peu au milieu d'une
nouvelle ascension d'un col un peu plus redoutable que le précédent
(sans asphalte, c'est moins facile...), voilà deux cyclistes
qui nous rejoignent: « Ah
ah, on savait bien que vous étiez devant nous, on a reconnu les
traces des pneus Schwalbe! ». |
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Voici Hester et Matthys, un couple hollandais
qui a pris un mois de vacances pour venir arpenter le Kirghizstan.
Ça tombe bien, les cols, c'est toujours plus facile à grimper
en groupe! Et les efforts, comme la beauté des panoramas partagés, ça
rapproche... On devient vite très copains, et on partagera avec
eux un antique Snickers ramené de Russie pour fêter notre
arrivée au col (mais en vitesse, ça caille par ici!).
C'est fou à quel point le voyage exalte les petits plaisirs...
(la douche, par exemple! pensez-y demain matin sous l'eau chaude!...).
Et là, ça se mérite: nous battons aujourd'hui
notre record de dénivelé quotidien, avec 1433 m, sur
de la piste, messieurs-dames! (quiconque a testé le pédalage
sur bitume et mauvaise piste comprendra la valeur de cette précision...).
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Nous
voilà donc
inséparables! Nous ferons un bon bout de chemin ensemble,
dont la mémorable descente qui suit vers le lac de Som
Kol, dans les couleurs du soir et le froid mordant qui monte:
qu'il est beau, ce lac! Bleu profond, entouré de plaines
dorées, majestueusement solitaire au milieu de ces montagnes, à l'exception
de quelques yourtes fumantes qui résistent courageusement à l'exode
vers la chaleur des villes. |
Et ça tombe bien, car nous nous
poserons pour la nuit près de l'une d'entre elles, dont les
habitants nous inviterons à partager le thé. Brr, avec
les -5 degrés qu'il fait depuis que le soleil a disparu, on
avait bien besoin d'un peu de chaleur avant de monter les tentes!
Assis en rond autour du poêle fumant, kirghizes ou touristes,
veste gore-tex ou fourrure de yack, nous partageons le même bonheur
des mains froides qui se réchauffent, à l'abri
de la nuit noire dehors...
Au matin, le givre aura pris d'assaut tentes et vélos, et ce
sont les chèvres de nos voisins qui viendront nous réveiller:
vite, sur les vélos, qu'on se réchauffe! Et le paysage
du lac sous le grand ciel bleu vaut tous les cols et frimas du monde:
une merveille! Nous garderons de cette journée un souvenir
exaltant de pédalage en pleine carte postale...
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9 -11 septembre
: étape « appro » à Narin et aller-retour
express à la capitale
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Après cette mémorable
visite des hauteurs de Som Kol, il nous reste quelques beaux
(et raides!) cols à gravir en compagnie de nos deux
nouveaux amis, et une série de montées sportives
qui seront récompensées par des panoramas époustouflants
de vallées multicolores et désertes. Qu'elles
sont belles, les montagnes kirghizes! |
Mais nous revoilà déjà près de la prochaine
ville, Narin. C'est le moment de remplir nos sacoches, qui commençaient à se
vider dangereusement! C'est aussi celui de quitter Hester et Matthys,
qui poursuivent leur pédalage alors qu'il nous faut, de notre
côté, revenir à Bishkek pour récupérer
nos visas kazaques (soupir...). Ils nous laisseront, cachées
dans nos sacoches, des barres de « nuts » en souvenir
du snickers partagé au sommet! Merci les copains!
Nous laissons donc à contre-coeur nos vélos à la
garde de l'office de tourisme de la ville (un tout petit bureau tenu
par un jeune homme adorable), et prenons un taxi collectif pour un
aller-retour express à Bishkek. Enfin express... nous y passerons
tout de même une nuit, hébergés cette fois chez
Makhrabat, une jeune femme croisée en ville lors de notre
premier passage, et qui nous avait proposé de passer chez
elle à notre retour ici. Nous sommes une fois de plus choyés
et sur-nourris par sa soeur et ses jeunes et jolies colocataires,
et récupérons (ouf !) nos visas sans souci. On peut
repartir dans nos montagnes !
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12 – 15 septembre : immersion en contrées sauvages
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Nous repartons de Narin avec des sacoches
débordantes de
kilos de pâtes, flocons d'avoine, lait en poudre et biscuits
secs: c'est que nous allons passer les prochaines semaines loin
de tout village, sur des sentiers perdus en pleine montagne.
A nous les solitudes
des sommets! heu, des vallées, au moins ! La
piste, très
caillouteuse mais tout de même praticable, nous
amène
de cahot en cahot au creux de vallées de toute
beauté.
L'automne qui arrive a coloré la végétation
de teintes flamboyantes, qui rivalisent avec les dégradés
d'ocre des versants. Nous pensions remonter tranquillement
la rivière, mais même en la longeant de
près,
nous ne cessons de monter et
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descendre le long de pentes
bien raides: 1050
m de dénivelé ce jour-là! Mais l'une
des grandes lois du vélo (avec « Le Vent Sera
Toujours de Face », « Tu Monteras les ¾ du
Temps et Redescendras Tout Juste Après » et « La
Pluie Cesse Dès que les Sur-Sacoches Sont Mises » ),
c'est « Si ça Monte, c'est que c'est Beau, si
c'est Beau, c'est que ça Monte » . Alors...
on aime! (et on souffle!). Et là, non seulement la
vallée est superbe, mais elle finit par nous amener
sur des plateaux magnifiques, pelés par le froid et
le vent, bordés de haut glaciers, royaumes des chevaux
sauvages et d'énormes yacks nonchalants qui se poussent à peine
pour nous laisser passer.Les
températures se font de plus en plus fraîches,
et le matin, il nous faut dégeler l'eau des gourdes
pour pouvoir boire! De jour comme de nuit, on ne quitte
plus gros
gants et bonnets... mais le spectacle du lever de soleil
sur la tente
couverte de neige vaut tous les doigts blancs du monde
!
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16 – 18 septembre : la « Vallée de la Mort » (tataaan
!)
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Régulièrement,
la piste est barrée par le passage d'une rivière
(ce qui explique aussi notre totale solitude: ici, même
les 4*4 ne passent pas!). Il nous faut donc dégréer
nos vélos et tout transporter à la main, les
pieds nus dans l'eau glacée (glacée, c'est
le cas de le dire, car des morceaux de glace flottent à la
surface!): ouille! Et peu à peu, la piste devient
de plus en plus grossière... pour finir par disparaître
totalement sous les gros rochers et les mousses. Nous pédalons
sur le tout, en tentant tant bien que mal de garder notre équilibre.
Ben mince alors, il y a pourtant bien une piste d'indiquée
sur la carte! |
Un homme à cheval
croisé la veille nous avait bien conseillé de prendre
un autre chemin (du moins c'est ce que nous avions compris de
son kirghize), mais nous avions décidé d'essayer
tout de même de passer par cette vallée isolée
fort tentante... en plus, c'est de la descente, ça ne
devrait pas être si terrible que cela! non?? grave erreur...(numéro
1). Nous voici à l'orée de ce que nous appellerons plus
tard « La Vallée de la Mort » (avec les majuscules
s'il vous plait, et un ton lugubre de rigueur). Le chemin n'existe
plus, mais nous commettons l'erreur (numéro 2) de penser
que nous allons le retrouver sous peu, juste là derrière
cette colline, c'est pas ça? Ah non, ce n'était
pas ça. Oui mais là, un peu plus en contrebas? Ah
non, pas ça non plus. Et à présent, vu qu'effectivement,
la vallée descend, il devient trop difficile de tout remonter
pour retourner à la bifurcation de départ: autant
continuer en descente! (erreur numéro 3). Plus de chemin
du tout, juste parfois les traces indisctinctes d'un -mauvais-
sentier de randonnée. Impossible de pédaler sur ce
terrain de mousses et de gros cailloux.
Nous
commençons à pousser
les vélos, mais la neige de la veille, qui commence à fondre,
transforme le tout en une gadoue collante qui s'accroche à nos
pneus, jantes, freins etc. et empêche les roues de
tourner. Il nous faut nous arrêter tous les 50 mètres
pour faire réapparaître les roues derrière
le tas de boue, et la progression en prend un coup. Pour
rincer tout ça, voici que la vallée nous offre
une succession de rivières relativement infranchissables,
que nous passons tout de même en nous trempant jusqu'aux
cuisses et en priant pour ne pas finir étalés
dans l'eau à 5 degrés. Hmmm, ça pourrait être
mieux! |
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Mais ça, on en a, et nous savons que cette Vallée
de la Mort (rappel : ton lugubre) aura une fin... et surtout,
le paysage reste à couper le souffle. On peste, on porte,
on a froid aux pieds dans l'eau glacée, mais on prend
aussi plein de photos!
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Nous
finissons par renoncer à retrouver
l'hypothétique chemin, et cherchons à présent
seulement à progresser vers l'extrémité de
la vallée, quelque-part à 15 km en contrebas.
Allons-nous y arriver un jour?
Nous en mettrons deux et demi, dont le second passé entièrement à porter
les vélos et les sacoches en de multiples allers-retours: nous battons
notre record de faible distance parcourue: 8 kilomètres! Étrangement,
nous ne sommes pas non plus en plein désespoir: à l'inverse de
nos déboires en Bolivie sur la « Laguna Khara » maudite (voir
carnets de Bolivie), ici nous avons de l'eau et des vivres à profusion.
Il faut juste du courage! |
Et en fin d'après-midi du second jour, l'improbable apparaît:
une silhouette sur la colline devant nous, qui nous fait signe!
Et dégringole le pierrier où nous évoluons
péniblement pour venir nous aider à porter les vélos.
C'est le jeune papa d'une famille qui s'est attardée dans
sa yourte « d'été », et qui n'en revient
pas de nous voir arriver de ce côté-ci de la vallée. « Vous
venez... de là?? », comprend-t-on en Kirghize. « Mais
c'est impossible... il n'y a pas de route! ». Oui, on avait
remarqué... Voici le frère qui arrive à la
rescousse, et bientôt nos vélos et sacoches sont sortis
des éboulis. « C'est bientôt fini, la route
est là dans 500 mètres! ». « Mais venez
d'abord prendre le thé et vous reposer... ».
Nous
voilà donc
invités sous la yourte de cette sympathique famille
qui nous regarde vraiment comme des extra-terrestres. On
avoue, un peu de thé sucré et un abri où s'asseoir
au chaud étaient exactement ce dont nous avions besoin! Ça,
plus la route toute proche qui met fin à nos efforts:
tout d'un coup tout va mieux! |
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Au point que lorsque nous arrivons enfin sur cette route,
une piste de gravier qui nous semble alors magnifique et
merveilleusement
plate, nous oublions soudainement nos promesses de redescendre
immédiatement vers des contrées plus « civilisées » pour
y reprendre des forces. Car c'est trop tentant: si à gauche, ça
descend, à droite, à « à peine » 900
m de dénivelé de là, il y a un plateau sûrement
magnifique et désert dont les sommets enneigés n'attendent
que nous... Allez, avec tout ce qu'on a déjà fait,
900 m, c'est pas grand chose: à droite, toutes!
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19 - 22 septembre : Globicyclette
dans l'Himalaya ?
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C'est donc reparti pour
une bonne journée d'ascension
et de lacets serrés, mais après ces derniers jours, c'est
presque de la rigolade (enfin après coup, c'est plus facile à dire
!).
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Et
soudain, au détour
du dernier lacet et dans le rugissement d'un vent glacial,
nous arrivons sur un plateau grandiose, balayé par les
rafales, vide de toute végétation autre que des
mousses dorées, et parsemé de petits lacs d'un
bleu nuit. Nous sommes à près de 4000 mètres,
et le ciel au zénith est tellement bleu et pur qu'il
est presque noir. Tout autour du plateau, les sommets blancs
gigantesques des Tian Shan pointent des arrêtes tranchantes
et arborent des versants couverts de neige poudreuse que le
vent soulève. Nous nous sentons tout petits, exaltés
par ce paysage de bout du monde. On y plante la tente en
plein milieu! |
Et enfin, nous prenons le temps d'un peu de repos: pas de pédalage
demain! Mais pas question non plus de rester sous la tente: allez
donc mettre un glacier sous le nez d'Olivier sans qu'il réagisse!
et là, il y en a des centaines... Nous décidons donc
d'effectuer l'ascension (à pied !) du sommet voisin. En guise
d'équipement de haute montagne, Olivier bricole des crampons
et un piolet avec des tiges de ferraille trouvées la veille
sur la route, et le sac étanche de BOB fera un sac à dos
de fortune. Nous partons à l'aube en laissant la tente sous
la garde des vélos (ce n'est pas comme si il y avait beaucoup
de passage), et finalement la randonnée se révèle
assez facile.
Et
quelle récompense
au sommet ! 4630 mètres, un vent de tous les diables,
et une vue imparable sur les sommets alentours. Où que
l'on regarde, des montagnes blanches acérées
bordent l'horizon, à perte de vue. On se croirait
sur l'Everest! Un moment magique... |
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Mais le froid devient de plus en plus pénible, d'autant que
le vent ne faiblit pas: après cette mémorable ascension,
nous décidons de redescendre enfin vers des régions un
peu plus chaudes. Les nuits sous tente à -10 degrés n'ont
qu'un charme très éphémère! Et on avoue,
on commence à ressentir la fatigue des derniers jours. Allez,
c'est l'heure de quitter les montagnes! |
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23 – 27 septembre
: repos sur les berges du lac Issy Kol
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On redescend donc à toute
allure la route impeccable que nous avions retrouvée deux
jours auparavant, et qui nous ramène à des altitudes
plus décentes.
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Tout
au bout de la vallée,
une grande étendue bleue se dessine: le lac Issy Kol,
fierté nationale, second plus grand lac d'altitude au
monde après le lac Titicaca au Pérou. C'est une
véritable petite mer intérieure aux eaux perpétuellement
réchauffées par l'activité volcanique
de ses soubassements. Enfin, réchauffées... elles
sont juste à 15 degrés au lieu de 5! Mais elles
ne gèlent jamais... |
C'est d'ailleurs ce qui lui vaut son nom, qui signifie « eaux
chaudes » en Kirghize. Ce fut aussi la station balnéaire
de prédilection de toute la classe huppée russe pendant
l'ère soviétique, et le camp de repos de Youri Gagarine!
Aujourd'hui cependant, l'ensemble est un brin à l'abandon: les
bourgeois russes sont partis bronzer sur des rivages plus tropicaux,
et le tourisme international n'est pas encore à son apogée
dans ce pays méconnu des occidentaux (malgré les efforts
remarquables du gouvernement, qui a même posté des offices
de tourisme dans les villages les plus reculés des vallées
kirghizes!). Les berges sud du lac sont donc parsemées de vieux
bâtiments soviétiques très laids et à l'abandon.
Cela pourrait être plutôt lugubre, mais le bleu joyeux
du lac et ses berges de sable ocre font oublier la décrépitude
des quelques blocs de béton qui le bordent. Nous en tout cas,
nous sommes ravis de pouvoir enfin ôter bonnets et doudounes
et cuisiner le repas du soir sans être entortillés dans
le duvet.
Nous longeons
toute la côte
sud, bivouaquant sur la plage et flânant le long des
côtes. C'est l'heure des crêpes, et des pommes
que l'on nous offre sur la route, et que nous n'avons jamais
trouvées aussi délicieuses et juteuses qu'ici...
On en profite aussi pour faire des lessives et nettoyer les
vélos qui ont bien souffert de leur passage dans la
boue, la neige et les rivières... Bref, repos! Puis
on finit par faire demi-tour pour rejoindre Karakol, petite
ville blottie au coin sud-est du lac... |
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27 septembre – 2
octobre : Karakol, et randonnées en bonne compagnie
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C'est qu'on nous avait
vanté la
magie des treks à cheval
sur les hauteurs de Karakol, et pour une fois, nous aimerions bien
troquer quelque temps nos vélos contre des montures plus animales...(bien
qu'on soit bien moins à l'aise à cheval qu'en vélo
couché!). Mais nous découvrons sur place que la saison
est déjà trop avancée. Avec l'approche de l'hiver,
tous les habitants ont redescendu leur bétail, et donc leurs
chevaux, des montagnes: on avait remarqué effectivement qu'il
n'y avait pas foule, là-haut! Ça sera donc à pied
que nous irons faire un petit trek montagnard.
On fait connaissance avec deux autres couples de voyageurs, qui cherchent
eux aussi à aller arpenter les vallées surplombant la
ville. Nous partons donc à six, avec Diana et Rob, néo-zélandais,
et Esko et Maya, finlandais, découvrir la très jolie
vallée d'Alakol. On passera une soirée bien sympa dans
un petit gîte de montagne rien que pour nous, à jouer
aux cartes et se raconter nos voyages au coin du feu. On apprécie
ce petit écart à notre vie de pédaleurs!
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Le
lendemain, nous ferons une randonnée
avec Diana et Rob pour aller saluer le petit lac d'Alakol,
célèbre pour ses eaux turquoises. Bon, on aurait
pu avoir un temps un brin plus clément: nous finirons
la rando sous la neige et dans les nuages, mais nous aurons
tout le même eu le temps d'apercevoir un instant le petit
lac tout vert du haut du col: très joli! |
Et même sans paysage,
la journée passée avec ce couple bien sympa vaudra nos
halètements sur les pierriers: Rob et Diana voyagent eux aussi à vélo,
et nous parlent avec enthousiasme de leur pédalage au Tadjikistan,
sur la célèbre Pamir Highway. Ça donne bien envie ! Pas
de doute, il nous faudra d'autres voyages en vélo pour aller
voir ça de plus près...
De retour à Karakol, nous sommes
hébergés par
le père et la grande soeur de Makrabat (cette jeune femme
croisée à Bishkek), et une fois de plus, la tradition
d'hospitalité kirghize se trouve honorée. Nous avons
droit à de copieux thés chargés de friandises,
mais aussi à la « douche-sauna » locale: ici,
les salles de bain sont toujours dans une cabane à l'extérieur
de la maison, dans laquelle un gros poêle à bois chauffe
l'eau et transforme l'endroit en un sauna fabuleux. Ici, pas d'eau
courante, juste une énorme bassine et un broc pour y piocher,
mais le confort moderne n'est pas nécessaire: on y prendra
les douches les plus délicieuses de notre voyage! De quoi,
d'ailleurs, nous consoler de la perte de notre mascotte, Gugus. Nous
transportions cette petite peluche verte depuis notre départ
de France, bien calée dans l'une des poches de sacoche de
Philéas et l'avions sauvé in-extrémis des mains
des enfants rapaces d'un village marocain (cf carnets du Maroc).
Mais Gugus n'ira pas plus loin que le Kirghisztan: nous commettons
l'erreur de le laisser dans les sacoches alors que nous allons faire
un tour sur internet. Une bande d'écoliers passe, et... Gugus
n'est plus là! On se console en se disant qu'il est peut-être
devenu l'unique peluche d'un gamin kirghize qui n'a pas dû en voir
beaucoup d'autres...
Notre retour « en ville » tombe aussi très, très
bien car une grosse casse survient chez Philéas: son guidon,
tordu et détordu après de nombreuses chutes (attention
on n'a pas dit que c'était Olivier qui était dessus
lors de celles-ci!), ne résiste pas à la dernière
tentative de redressage (voir méthode dans « Trucs et
Astuces ») : il se rompt d'un coup net! Aïe ... heureusement
que cela nous arrive ici et pas au milieu de la Vallée de
la Mort! (quoique, de toutes façons on portait nos vélos
dans cette vallée!). Olivier passera plusieurs heures en
bricolage de fortune, mais parviendra à reconstituer le guidon
en y insérant une barre de métal arrachée à une
vieille poussette, qu'il fera tenir avec vis, boulons et perceuses.
Et c'est reparti pour 10 000 km!
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2 – 6 octobre : dernière
ligne (pas droite) avant la frontière
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Ça tombe
bien, parce qu'il est grand temps de se remettre en route. Nous
effectuons un dernier
petit tour dans les belles vallées
tout en ocres rouges débouchant sur le lac, avant de mettre
le cap vers le nord-est du pays, et la frontière kazaque. Nous
avons retrouvé l'asphalte, et nous roulons à un bon train
entre des forêts superbes aux arbres et buissons dorés
par l'automne. Après les dénivelés des semaines
précédentes, cette dernière centaine de kilomètres
nous semblerait presque facile!
Après la forêt, ce sont de gros nuages d'orage qui nous
accueillent à la frontière kazaque, qui semble bien ne
jamais vouloir pointer le bout de son nez dans cette grande plaine
caillouteuse: on arrive juste à temps au poste frontière
pour monter la tente et s'abriter du déluge qui tombe. Tant
pis, on passera la barrière demain matin!
L'automne
est vraiment là à présent,
et nous sommes contents de ne pas affronter ce genre d'orage
dans les montagnes qui nous avons laissées loin derrière.
Maintenant, retour aux plaines kazaques, on se contentera d'admirer
de loin les froids sommets enneigés! Mais on sait à présent à quel
point c'est beau, tout là-haut... Et promis, on y retournera!
après le Tadjikistan, par exemple?... |
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Les
petits détails du quotidien...
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Heu... comment dire... la gastronomie
Kirghize ne nous a pas vraiment marqués, occupés
que nous étions à nous remplir la panse de
pâtes à la tomate au milieu de nulle part!
Mais tout de même, quelques éléments
:
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Les fraises!
les meilleures du monde probablement... C'est d'ailleurs
notre premier
souvenir du pays, juste après
avoir passé la frontière: « Des
petites mamies qui vendent des fraises sur le
bord de la route. Des
fraises! Bien entendu nous ne pouvons résister:
pour 300 soms (la monnaie kirghize, soit 1.5
euro), nous
voici en possession d'un kilo de petites fraises
rouges qui dégagent une odeur à se
damner: raah, des fraises qui sentent la fraise!
Amanda pense à son
papa qui renâcle aujourd'hui à manger
ces fraises sans goût et pleines d'eau
du supermarché, trop
fidèle au souvenir des fraises de son
enfance. Mais celles-ci sont absolument délicieuses,
et nous ne pouvons résister à la
tentation d'en reprendre une, et une autre, et
encore une... si bien que 10 minutes
plus tard... il ne reste que les queues ! et
une mamie époustouflée
de nous voir dévorer sa récolte
sur place... ».
Les kirghizes en font d'ailleurs une confiture à se
damner elle aussi, que l'on mange dans le thé,
comme du miel, ou bien sur des petits pains...
On n'en a malheureusement
jamais trouvé dans les magasins: ici,
tout est fait-maison!
-
Le thé, élément
fondamental de l'accueil de l'étranger, servi à profusion
et avec de grandes rasades de sucre, et souvent aussi
du lait concentré.
Mais il est aussi un prétexte
pour l'accompagner de piles de gâteaux
secs, tartines de confiture (cf les
fraises) et petits beignets... des
vrais goûters de
rois! Il y a d'ailleurs une manière
particulière
de servir le thé: celui-ci
est très fortement
infusé dans une toute petite
théière,
puis chacun se sert un fond de ce « concentré de
thé », qu'il dilue ensuite à sa
convenance avec de l'eau chaude. Pratique,
prêt à toute
heure, et économique!
-
Comme en
Mongolie ou au Kazakhstan... du mouton, du mouton! (et
même, que du mouton.. le yack ne doit pas être
très bon!). On a
testé pour vous le « shurpa »,
un plat de mouton accompagné d'une
soupe de légumes,
et on a eu la surprise de
découvrir que le « besh
barmak », plat typique
kazaque croyait-on, est ici
aussi un emblème national!
(cf carnets du Kazakhstan).
On nous a aussi servi du « plov »,
un plat de riz accompagné de
viande d'agneau et de carottes.
Pas mauvais, et parfait pour
réchauffer les cyclistes
glacés! Ça,
c'est pour les plats identifiables...
On ose mentionner un plat à base
entièrement
de graisse de mouton, vous
savez, ce gras qui entoure
les côtelettes? mais
sans les côtelettes...tout à fait
au goût d'Olivier mais
qu'Amanda a eu du mal à finir...
-
Nous
avons aussi retrouvé le « koumis » kazaque,
ce lait de jument fermenté, mais aussi plus simplement
l'ayran, le délicieux yaourt frais (de vache! ou de
yack??) que toute bonne yourte a en réserve.
-
Côté fromage,
on est encore loin du Saint Marcellin: ici on mange de
toutes petites boules d'un fromage
jaune
et sec, assez goûteux mais qui a parfois tendance à s'avérer
plus
dur que du bois! Le secret: le mâchouiller longuement
avant
de le « râper » contre ses dents...
-
Ah,
on oubliait : les
pâtes cuites à 4000
mètres sont toujours aussi immondes! mais
quand on a faim...
-
Et
que faire
quand on a épuisé les pâtes,
le pain, les oeufs, les soupes?? ah, n'oublions
pas qu'Amanda garde toujours au fond de ses sacoches
une réserve
de farine... au cas où. Et avec un peu
de farine, un peu d'eau, du sel, du concentré de
tomate, des herbes de provence... voici une tartine à la
provençale,
c'est pas de la pizza mais c'est pas loin !
mmhhh... La version sucrée, à la
cannelle, n'est pas mal non plus.
- les visas bien sûr ! (on commence à s'y
faire...)
- le froid, qui paralyse les doigts,
engourdit la bouche, et démotive
le « saut du duvet » matinal ... un peu, ça
va, beaucoup, ça fatigue...
- La Vallée de La Mort (tataaan !)...
- devoir finir son bol de koumis rance
pour ne pas offenser le Kirghize complètement paf qui nous le propose, pendant qu'il
essaie de monter sur nos vélos et menace de casser nos béquilles
- les mauvaises pistes très raides et très caillouteuses
(quand même...)
- les fraises!
- le pédalage autour de Som Kol
- les rencontres avec Hester et
Mathias et Rob et Diana
- l' « Everest »!
- l'invitation sous la yourte qui
signe notre sortie de La Vallée
de La Mort
- l'hospitalité incroyable et le sourire doux de tous les
kirghizes
- le grand ciel bleu qui ne nous
a quasiment jamais quittés
(sauf la nuit?)
- la beauté et la solitude des montagnes kirghizes...
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