Globicyclette

à l' île de Pâques

 

Amis voyageurs, bonjour !

Voici longtemps qu'on vous les promet, les voici enfin : les aventures de Globicyclette dans les îles du Pacifique ! Palmiers, cocotiers, bronzette et farniente ? heu... presque ! Mais un peu plus aussi... Parce que bon, nous, au bout d'une heure sur une plage, même paradisiaque, on s'ennuie un peu (sans parler de la tête d'enterrement de Philéas et Heïdi). Alors après les volcans et les lacs du Chili, on a décidé d'aller découvrir une autre face de ce pays, avec plages paradisiaques soit, mais option statues mystérieuses en plus ! Voici donc les péripéties de Globicyclette... sur l'île de Pâques !

 

 

12 avril : A nous les tropiiiiques !

 

Souvenez-vous... Nous vous avions laissés en compagnie de pédaleurs fatigués et de vélos soigneusement emballés, dans l'aéroport de Santiago...
Après une nuit agitée, nous voici de bon matin dans la file d'enregistrement des bagages, avec derrière nous deux immenses monstruosités de carton, scotch et ficelles dans lesquelles ont disparu nos vélos. Nous retenons notre souffle devant le regard horrifié (comme toujours) des hôtesses face à nos « paquets » : est-ce que ça va passer ?

Les monstres de carton, apparemment, ne posent pas de véritable problème. Mais ce qui bloque, c'est le poids total de nos bagages. Le verdict tombe : « trop lourd ! ». Ben, évidemment, à cause de leurs stupides règles d'emballage, on doit en avoir pour au moins cinq kilos de carton en plus ! grr...

Mais ce n'est pas comme si nous avions le choix... On paye donc, en grinçant des dents mais sans protester, les 35€ de surcroît de bagages. Et... c'est parti pour l'île de Pâques !
C'est main dans la main que nous observons par le hublot le décollage du sol chilien : çà y est, on quitte le continent américain ! Et pendant de longues heures, nous volons au-dessus du Pacifique, avant d'arriver enfin en vue de l'île, ce petit caillou de 20 km perdu au milieu du Pacifique... Nous voilà sur l'île de Pâques !
Nous débarquons dans un aéroport encore plus petit que celui de Nouakchott (normal, l'île n'étant desservie que par une compagnie !). Dans son unique salle de départs et arrivées, les employés des divers hôtels accueillent leurs clients avec des colliers de fleurs : la pièce embaume des parfums sucrés de ces fleurs exotiques. Nous, on se passe des fleurs, mais on récupère nos tanks, heu, nos vélos, en très bon état : ouf ! Et nous passons les deux heures qui suivent à les déballer et les remonter, sous le chaud soleil tropical que nous sommes ravis de retrouver. L'automne est fini !

Comme toujours, nos vélos ont attiré des curieux, ici une volée de gamins en week-end qui font du skate ou du vélo sur le parvis de l'aéroport. C'est donc accompagnés d' un mini cortège de bienvenue que nous donnons nos premiers coups de pédale sur l'île.

Dès les premiers coups de pédales, on se laisse envahir par la grosse langueur qui baigne cet endroit tranquille... C'est à raison que l'on parle de l'« ambiance » des îles ! Tout est propre, fleuri et calme. L'air a une température parfaite à laquelle nous n'étions plus habitués, et nos muscles se détendent sous la brise tiède. Ooh, ça s'annonce bien, ces vacances sous les tropiques !
On nous l'a dit et répété (jusqu'à l'arrivée dans l'aéroport), le camping sauvage est strictement interdit sur l'île (mesure récente, malheureusement issue du peu de respect marqué par les derniers campeurs envers nature et statues...). Dommage, nous qui rêvions de bivouac de rêve sous les statues... mais on comprend le désir de protection des sites, alors nous nous mettons en quête d'un camping. Comme les panneaux indicateurs semblent être une notion totalement inconnue sur cette île (elle est tellement petite, tout le monde sait où est quoi!), nous décidons de demander directement aux locaux. On s'arrête donc devant une famille qui nous observait gaiement de son jardin : comme souvent, la vue de nos engins bizarres provoque le sourire, voire l'hilarité des curieux. Bah, si on peut contribuer à la bonne humeur locale, tant mieux ! Ici, les voilà très gais et surtout terriblement curieux de nos vélos.
Ils posent plein de questions et semblent trouver notre voyage fabuleux. Et puis Juan, le papa, nous demande : « mais vous voulez vraiment aller au camping ? Si vous voulez, vous pouvez poser votre tente dans mon jardin, ici, ou mieux même, dans mon autre maison en construction, en haut de la rue ! ». Ah ben ça ? À peine débarqués, nous faisons déjà connaissance avec la gentillesse pascuane.

Bien entendu, on accepte son offre et Juan et sa femme, Anita, nous emmènent jusqu'à leur seconde maison : un jardin rien que pour nous, avec vue sur la mer ! « Et vous pouvez utiliser la douche et les toilettes quand vous voulez ! » « Et si vous regardez bien, du fond du jardin, on peut apercevoir une des statues de l'île ! ». Le rêve, quoi ! Juan nous explique que son ami Lucho, occupe temporairement la maison en construction, puis nous laisse un double des clefs, en toute confiance.

Nous restons un peu ébahis par tant d'hospitalité mais nous sommes bien sûr ravis : nous n'en attendions pas tant !
Mais les longues heures d'avion, le décalage horaire, la nuit trop courte de la veille ont raison de nous : à peine la tente montée, nous nous écroulons sur le duvet et sombrons dans un profond sommeil.
L'île de Pâques attendra bien un jour de plus !

13-16 avril : A la découverte de l'île

 

Pour la première fois depuis longtemps, c'est le soleil qui nous chasse de la tente ! Mais nous avons autre chose à faire que dormir : à nous l'île de Pâques ! ou plutôt, l'île Rapa Nui, de son nom d'origine, le même que celui de sa population.

Le réseau routier de l'île est très simple : 50km de route aux trois-quarts goudronnée qui font une boucle entre la seule ville de l'île, Hanga Roa, au sud-ouest, et le nord/nord-est de l'île. Plus quelques très mauvaises pistes (boue séchée ravinée!) qui partent de Hanga Roa vers l'extrémité sud-ouest, ou vers la côte ouest.
Fidèles à nos envies de pédalage, nous passons bien sûr les jours suivants à sillonner tout ça, en rentrant chaque fois « à la maison » à la tombée de la nuit.

Première étape : le volcan Rano Kau, tout au sud-ouest de l'île (on comprendra vite que « rano », c'est « volcan » en langage Rapa Nui). Après une petite grimpette essoufflante de 300m, nous voici devant un cratère à couper le souffle : immense et parfaitement rond, il est rempli d’une eau bleu sombre dans laquelle se reflète tout le ciel,

qui forme une mosaïque de petites mares séparées par de denses formations de roseaux (des totera, les mêmes qu'au lac Titicaca !). L’ensemble, vert, bleu, blanc et bleu-noir est saisissant.

De l'autre côté du cratère, une falaise vertigineuse tombe dans l'océan, où s'écrasent de gros rouleaux turquoise qui y laissent une écume crémeuse et brillante. L'ensemble, sous le grand ciel bleu, a un côté « Crozet » (cf. notre rencontre!) qui nous replonge dans de beaux souvenirs...

Et sur le chemin de la ville, nous tombons nez à nez avec... notre premier Moaï ! Moaï, késako ? ce sont les célèbres statues bien sûr ! Celui-ci tourne le dos à une petite baie, posé sur son autel de pierres ( l'« ahu»), et semble veiller sur les quelques voiliers de ce petit port. Bien entendu il est magnifique, avec sa moue sévère, ses oreilles immenses, et ses mains aux longs doigts fins qui semblent soutenir un petit bidon grassouillet.
Le soir, nous en découvrons d'autres, sur un site à deux pas de notre « maison » qui semble n'être là que pour fournir un cadre idéal pour les couchers de soleil...

Cinq Moaïs alignés sur un même autel admirent eux aussi le soleil, enfin, plutôt les touristes, car ils tournent le dos à l'horizon ! Un sixième, plus à l'écart, a lui eut droit à des accessoires : un « chapeau » rouge et cylindrique (un «pukao»), et... des yeux de corail blanc et d'améthyste, qui lui donnent une allure de personnage de dessin animé : les Moaïs étaient-ils comme lui avant ?

Après le Rano Kau, passons aux choses sérieuses : la grande boucle vers le nord de l'île ! Celle-ci nous emmène d'abord le long de la côte est, qui à elle seule est déjà un spectacle : sur des dizaines de kilomètres,
une eau turquoise écrase ses rouleaux sur des falaises noires, dans de grandes gerbes d'écume. C'est à la fois dramatique et paradisiaque, et sous le soleil le spectacle est digne des plus belles cartes postales. Nous, on se fabrique les nôtres en s'arrêtant tous les 500 m pour des photos... Mais, où sont donc les statues dans tout ça ? Ah, en voilà une, la plus petite de l'île qui ne doit pas dépasser les 3 m. Mais elle a une bonne bouille ! Alors que nous nous amusons à des jeux de perspective photographique, un autre couple s'approche : Laurent et Myriam sont français, et ont à peu près nos âges, mais eux, en place des vélos ont un chérubin dans les bras : Timothée, six mois, a passé la moitié de sa vie en voyage ! On sympathise vite en discutant des conditions de voyage avec un bébé : ils nous rassurent. C'est difficile, mais tout à fait possible ! Eux ont déjà parcouru un bon bout de l'Amérique du Sud en mini-van, sans aucun gros problème. On les recroisera à plusieurs reprises dans la journée, si bien qu'à la fin, ils nous invitent à venir ce soir prendre un verre à leur auberge : sympa !

Nous poursuivons notre route, ravis d'avoir nos vélos avec nous : nous hésitions à les laisser à Santiago mais nous avons bien fait. Cette île, avec ses grandes routes désertes et magnifiques, est le royaume de la petite reine !

On passe, perplexes, deux sites où sont signalées des statues sur notre carte : mais où ça ? et au troisième, on s'approche un peu plus, et l'on comprend enfin : les Moaïs sont bien là, mais... couchés ! Les guerres tribales, les raz-de-marée, les tremblements de terre des trois derniers siècles ont eu raison de leur équilibre. Ce que nous pensons être des tas de gros rochers sont en fait des Moaïs renversés, souvent cassés au niveau du cou, face contre terre sur leurs autels éboulés. Une fois cela compris, il est facile de les identifier, même de loin : taillés dans un autre endroit de l'île, les Moaïs n'ont pas exactement la même couleur que les rochers sur lesquels ils sont posés, et leur teinte légèrement verte ressort sur le noir du reste. Souvent aussi, ils étaient coiffés de ces «pukao » cylindriques et rouge sombre. Ceux-ci ont roulé plus loin lors de leur chute : il suffit de repérer ce gros bloc rouge pour savoir que son propriétaire n'est pas loin derrière !

Ces statues tombées ont quelque chose de grandiose et de triste, symboles évidents du déclin des civilisations qui les ont façonnées. Tout de même, ils auraient meilleure allure relevés ! On comprend alors que seuls les « sites archéologiques restaurés » indiqués par notre carte doivent contenir des statues dressées : en fait, il n'y en a pas tant que ça sur l'île !

En début d'après-midi, nous parvenons sur l'un d'eux, qui est aussi le plus spectaculaire : sur le site de Tongariki, quinze Moaïs dressés nous attendent. Quand on découvre cette ligne d'immenses guerriers de pierre, on reste fascinés. Ils dégagent un magnétisme mystérieux qui nous rend soudain silencieux et humbles, un peu comme à l'entrée des belles cathédrales. Ils sont tous différents, en taille, en forme, en traits, et observent le visiteur d'un regard d'éternité.

Envoûtés par leur présence, nous passons plusieurs heures à les admirer, les dévisager, les photographier. Seul le soleil qui baisse nous incite finalement à quitter le site : c'est qu'on a encore de la route pour rentrer !

Le suite de la boucle nous fait passer par le centre de l'île : ouh, ça grimpe ! Mais au sommet, un joli panorama s'offre à nous : tout le nord de lîle, baigné dans les somptueuses couleurs de fin d'après-midi...
Mais nous sommes rentrés sans avoir visité la moitié des sites : c'est que nous en gardons pour la suite ! Et donc cette boucle, nous allons la refaire de nombreuses fois. Suite de nos découvertes : le volcan Rano Raraku, juste au-dessus du site de Tongariki. Nous y consacrons une journée entière, car ce volcan est aussi... la carrière des Moaïs: c'est là que tous les Moaïs ont été taillés, ce qui explique leur uniformité de teinte. Et c'est aussi, pour nous, le site le plus enchanteur de l'île. Nous pensions y trouver quelques statues encore serties dans la falaise.

Mais en fait, il semble que la fabrication des Moaïs se soit arrêtée brutalement en plein apogée : il y en a partout ! Dans la falaise, mais aussi des dizaines éparpillées sur les flancs du volcan, presque tous dressées : des statues terminées, en attente d'être transportées sur leurs autels... et qui attendent toujours... Le temps les a enfouies dans la terre de la colline, et seules les têtes, sérieuses et énigmatiques, dépassent du sol, souvent légèrement inclinées, comme pour questionner le temps qui passe.

Nous marchons lentement entre ces guerriers gigantesques, et nous nous laissons imprégner de l'atmosphère étrange de ce sanctuaire sans équivalent. Même le Machu Pichu ne dégageait pas une telle impression d'éternité, mais aussi d'une présence, d'une veille éternelle. Les dernières statues sculptées sont encore plus grandes que toutes les autres. Un géant d'une vingtaine de mètres repose encore sur le flanc de la montagne, attendant pour toujours d'être dégagé de son berceau. D'un autre, on n'aperçoit plus que le nez, immense, qui dépasse de la terre.
À l'intérieur du volcan, le cratère est, comme pour le Rano Kau, occupé par un lac. Sur les bords du cratère veillent aussi des Moaïs : mais comment pensaient-ils les sortir du volcan ?
Pour alléger l'ambiance mystérieuse des lieux, nous prenons quelques photos rigolotes avec ces colosses boudeurs. Bref, nous admirons, nous nous régalons, nous pourrions y passer des journées entières... Mais comme toujours, le soleil qui finit sa course nous rappelle qu'il faut rentrer...
D'autant que nous découvrons vite que le ciel de l'île nous offre avec régularité du soleil dans la journée... et un gros orage tropical le soir!

C'est donc souvent complètement trempés que l'on arrive à la maison... Et nous disons « maison » à juste titre : notre tente est bien dans le jardin, mais dès le premier soir, nous faisons connaissance avec l'occupant de la maison, Lucho.
Et Lucho se révèle l'être le plus gentil et le plus prévenant de tout le Chili. Il nous invite à utiliser son four et sa gazinière, sa douche, sa machine à laver, et nous propose même de dormir dans la chambre jouxtant la sienne. Nous déclinons cette dernière offre, soucieux de lui laisser un peu d'intimité, mais envahissons avec reconnaissance sa cuisine.

La maison est à moitié construite, avec un sol en terre battue et du matériel de construction un peu partout : Lucho y travaille et y loge gratuitement en échange.
Et nous, on est ravis de pouvoir cuisiner au sec... et en bonne compagnie !

 

17-20 avril : Ecoliers dissipés, Moaïs majestueux et plages de rêve

 

Ces découvertes ne sont bien sûr que les premières. Elles seront cependant interrompues quelque temps par des pluies torrentielles qui nous confinent dans la maison de Lucho. Mais, jamais en reste, nous profitons de cet arrêt dans nos pédalages pour aller rendre visite aux écoliers Rapa Nui : nous allons leur proposer un jumelage avec l'une des écoles de notre commune.

On découvre une école très vivante mais un peu désordonnée : la discipline ne semble pas être un point majeur des enseignements ! Mais élèves et maîtresses sont charmants et souriants. Ces dernières portent une fleur dans les cheveux, à la mode des îles, ce qui leur va à ravir.

Les enfants sont vivants et terriblement curieux. Comme à Palaiseau, nous faisons des tours de la cour de récré sur nos vélos, suivis par une ribambelle de gamins surexcités. Nous visitons de classe, dont une est une place d'immersion «Rapa Nui » qui a pour but d'apprendre aux enfants la langue de leurs ancêtres : la majorité de cette nouvelle génération parle en effet seulement espagnol !
Les enfants nous chantent une chanson rapa nui et nous leur expliquons notre tour du monde dans notre meilleur espagnol : l'occasion de réaliser que nous nous sommes bien améliorés depuis les «Buenos dias » hésitants du Pérou !

Le soleil nous rattrape à la sortie de l'école, et nous partons avec lui visiter la carrière, non pas des Moaïs, mais de leurs chapeaux, les « pukao » rouges que certains portent. Ceux-ci sont taillés dans un petit volcan vers le centre de Lille, le seul qui possède cette roche rouge caractéristique.

Sur place, des panneaux nous expliquent les diverses théories sur la méthode de fixation des pukao sur les têtes des Moaïs : soit le pukao était fixé au Moaï couché, et l'ensemble était ensuite redressé, soit les pukao étaient hissés jusqu'à la tête du Moaï dressé, par le biais d'une pente de cailloux... mais en fait, on ne saura jamais ! L'île reste plongée dans son mystère de civilisations déchues avant même l'arrivée des premiers européens...

Avec le retour du soleil, nous revoici donc sur nos vélos : ailleurs dans l'île, d'autres Moaïs nous attendent.. Il y a par exemple les 7 statues dressées du site de Ahu Akivi: ce sont les seuls qui font face à la mer, tous les autres sur l'île étant tournés vers un site particulier, en général un village, dont ils assurent ainsi la protection. Mais ceux-là, nous a-t-on dit, ont été dressés en mémoire des sept guerriers ambassadeurs qui sont partis reconnaître l'île avant que le roi ne s'y installe. Leur regard, tourné vers l'océan, rappelle alors aux Rapa Nui leurs origines extra insulaires.


Notre regard à nous, c'est vers les Moaïs que nous le tournons : face à l'Ouest, ils sont illuminés des couleurs dorées du soleil, bas sur l'horizon, et offrent là encore un spectacle saisissant.

Et surtout, surtout, tout au nord de l'île, il y a la belle plage d'Anakena... Les deux heures de pédalage pour s'y rendre en valent largement la peine : c'est qu'elle est vraiment paradisiaque, avec son sable blanc et ses cocotiers, les seuls arbres de l'île à part ceux de la ville ! Elle est d'autant plus surprenante qu'elle interrompt une côte accidentée de falaises et rochers noirs, volcaniques. Et pour parfaire le tableau, cinq Moaïs dressés veillent sur le site, tournant le dos à la mer bien sûr. Un sixième les surveille de plus loin, isolé sur une petite butte de sable. Ils sont plus petits que les autres Moaïs dressés et portent tous des pukao. L'ensemble semble presque trop parfait, trop « carte postale » pour être vrai. Et dans la baie, devant la plage, un beau trimaran rouge a trouvé le mouillage du siècle.

On tombe d'ailleurs sur leurs propriétaires : Bruce et Helen sont autant intrigués par nos vélos que nous par leur vie de marins au long cours, alors ils nous invitent à prendre un pot sur leur bateau-maison ! Amanda, qui rêvait depuis son enfance de mettre les pieds sur un voilier de cette envergure, est aux anges.

Mais ce n'est pas tout : on découvre que Bruce est écrivain à ses heures perdues, et qu'il a écrit, entre autres, un roman pour ados dont le héros principal voyage... en France... en vélo couché ! Ravi de la coïncidence, il nous en offre même un exemplaire dédicacé, à la plus grande joie d'Amanda : un liiiivre !!! un vrai ! lectrice acharnée qui était condamnée à lire et relire le Lonely Planet d'Amérique du sud, la voilà au septième ciel!

Mais ce n'est pas la seule rencontre que nous faisons sur cette plage de rêve : à notre seconde visite (on ne se lasse pas des cocotiers), on découvre.... un autre cyclocampeur! chose rarissime en ce coin perdu du monde. Dès qu'il aperçoit nos vélos, il vient à notre rencontre. Notre collègue n'est pas tout jeune, autour de 70 ans, mais il tient une sacrée forme et fait preuve d'une jovialité contagieuse. On lui explique notre périple, et Olivier ne cesse de se dire qu'il a déjà vu ce sourire quelque part... mais où ? et lui, d'ailleurs, où a-t-il voyagé ? « oh! partout ! j'ai voyagé toute ma vie ! ». C'est là que le déclic se fait pour Olivier. « Je vous connais ! On s'est rencontrés en 1999 à Lyon, c'est vous l'énergumène qui voyage à vélo depuis ses 23 ans, je vous ai même acheté l'un de vos calendriers ! ». « Et oui, c'est possible, je les vendais à l'époque pour financer mon voyage ». Heinz. Heinz Stücke.

L'un des héros d'Olivier, ce baroudeur au long cours, qui détient probablement le record absolu du nombre de kilomètres de pédalage, l'un des inspirateurs aussi, de notre périple. Ici ! en plein milieu de l'océan Pacifique ! Le monde est fou... Nous ne cachons pas notre admiration et notre joie de le rencontrer, de nouveau pour Olivier. Une légende... nous en avions même discuté avec Johanna et Michael ! Et la « légende » sourit de notre surprise. Lui-même n'est pas si étonné : ce n'est pas la première fois qu'il recroise des cyclistes ! Il est spontané, bavard et sympa comme tout. Il nous offre une bière tirée de sa sacoche, et nous parlons voyage...

« Dépêchez-vous de profiter du monde pendant que ses beautés sont encore présentes ou accessibles », nous conseille-t-il. « Depuis mes premiers voyages, j'ai vu des merveilles disparaître par la bêtise des hommes. Et les merveilles restantes, aujourd'hui, on les met en cage, avec rambardes d'accès et distributeurs de - très chers - billets à l'entrée »... Une vision pessimiste mais tellement vraie... qui ne l'empêche cependant pas de poursuivre ses pérégrinations : « il y a encore des pays, des îles du moins, que je n'ai pas visités ».

Son voyage actuel consiste à compléter sa liste en vue... d'une apparition dans le livre des records ! C'est l'Antarctique qui risque d'être difficile, à vélo... mais nous ne doutons pas de sa capacité à terminer son incroyable collection Car à presque 70 ans, Heinz a toujours l'énergie d'un jeune homme, l'expérience en plus... De quoi en inspirer beaucoup...
Bruce, Helen et Heinz ne seront pas les seules rencontres de ces jours-là. Il faut dire qu'à force d'y circuler, nos vélos sont devenus célèbres dans l'île, et souvent on nous salue gaiement à notre passage dans les rues : tout le monde nous connaît ! Et nous avons ainsi attiré la curiosité de.. deux français ! Guillaume et Juliette sont un peu plus jeunes que nous et comme nous, ils font le tour du monde. Mais eux, en sac à dos ! Entre baroudeurs, nous partagerons des conversations bien sympas devant le coucher du soleil, et les retrouverons plusieurs fois sur leur quad (loué pour l'occasion : à défaut de vélos ?), sillonnant comme nous les sentiers de l'île. Finalement, c'est sur l'île de Pâques que nous aurons rencontré le plus de monde en un temps réduit !

 

20-22 avril : derniers instants inoubliables

 

Le temps passe vite quand on s'amuse... dans trois jours, nous nous envolons pour un nouveau continent : profitons au maximum de nos derniers moments sur l'île !

En premier lieu, notre ami Lucho a décidé de fêter avec un peu d'avance notre départ, et nous propose une soirée « asado » (les grillades chères aux argentins et chiliens ») : avec joie ! ce que nous n'avions pas prévu, c'est qu'il débarquerait à la « maison » avec un sac rempli à craquer : il a ramené une quantité de viande monstrueuse, de quoi faire une grande salade, et surtout, quatre bouteilles de vin (quatre ! pour nous trois !) et une de pisco sour, « pour vous faire goûter ».

Comment allons-nous ingurgiter tout ça ? Heureusement, le pisco sour, on aime bien, alors ça passe tout seul. Mais après le troisième verre, la tête tourne ! La soirée sera très gaie, la viande délicieuse et finalement on finira presque le pisco, plus une bouteille et demie ! C'est qu'on se dévergonde, ma parole !

Et pour notre avant-dernière nuit sur l'île, Lucho nous révèle l'emplacement d'une grotte, tout près du Rano Raraku (le volcan des Moaïs), où nous pouvons passer la nuit sans souci : youpi, plus besoin de rentrer de bonne heure !

Le lendemain, nous partons donc pour la première fois chargés de nos sacoches, et après une journée sur la plage nous allons visiter la carrière de Moaïs... au coucher du soleil. Nous avions déjà été enchantés, ensorcelés par l'atmosphère magique du site lors de notre première visite. Mais là, dans le silence du soir qui tombe, chaque statue semble illuminée par les couleurs dorées et grandioses du couchant. Nous sommes seuls sur le site et avons l'impression de pénétrer dans un univers magique, celui où les Moaïs parlent et se lèvent... La roche gris beige des statues devient or, et leurs ombres gigantesques s'étendent démesurément sur la pelouse d'un vert presque bleu. Les Moaïs veillent...
Nous quittons sur la pointe des pieds ce lieu magique où nous n'avons plus notre place, laissant les statues à leur vie secrète nocturne...

Visite suivante : les 15 colosses de Tongariki, mais cette fois-ci, « by night» ! Car la nuit est bien tombée quand on arrive à l'impressionnante rangée. Les noires ombres en sont d'autant plus imposantes et l'on se sent tout petits. Et là, sur l'horizon, émergeant lentement des flots noirs, la Lune. Sa lumière pâle vient éclairer le dos des statues, et leurs ombres se font immenses et précises.

Çà y est, ils nous regardent... Le clair de lune sur les Moaïs devient presque une expérience mystique !
Nous passons de longs moments à goûter la paix de ce paysage unique... et ce sont de gros nuages annonciateurs de pluie qui finissent par nous décider à partir à la recherche de notre caverne. Celle-ci est très facile à trouver, et surtout, immense et confortable : elle a dû être habitée depuis l'arrivée des premiers hommes sur l'île ! avec sa vue sur la mer et son sol de terre et de paille (témoin d'occupations récentes), elle offre un petit bivouac de rêve, parfaitement abrité du vent et de la pluie. Nous y passons une nuit douce, bercés par le battement des vagues sur les rochers, à quelques mètres de nous...

Le lendemain matin, nous nous levons à l'aube pour admirer, cette fois, le lever du soleil sur les Moaïs de Tongariki. Le temps est couvert et légèrement pluvieux, mais le tableau n'en reste pas moins grandiose. Peu à peu, les Moaïs sortent de leur mystère et redeviennent des statues de pierre au regard braqué sur les collines de leur île.

Et enfin, après une journée à l'ombre des statues, il est temps de rentrer et de se préparer au départ : demain, on prend l'avion pour la Nouvelle Zélande !
Et le 22 au matin, après des adieux émus à Lucho, les interminables emballages recommencent sur le parvis de l'aéroport. Ce que nous n'avions pas prévu, c'est l'arrivée surprise de... Heinz ! Nous avions dû lui glisser que nous repartions aujourd'hui, et il est venu spécialement pour nous dire au revoir. Il a apporté des goyaves qui poussent partout sur l'île mais que nous n'avions jamais osé cueillir sans être sûrs de ce que c'était ! et il nous en donne au moins un kilo, avant de griffonner sur un papier son « adresse » : « j'ai un endroit où loger sur Gentilly, à votre retour, venez voir, j'y serai peut-être ! ». Il est adorable. Comme nos tanks sont enfin prêts, on fait ensemble une séance photo, puis il nous aide à tout transporter à l'enregistrement des bagages. Chance, cette fois-ci, pas de supplément bagage à payer ! C'est que nous avons bien chargé nos sacoches de cabine et laisser toute notre nourriture à Lucho... Puis nous saluons bien bas notre héros, et, goyaves sous le bras, traversons le tarmac pour monter enfin dans l'avion. Heinz est là, de l'autre côté de la grille, et prend une ultime photo. Nous, nous respirons une dernière fois l'air tiède et parfumé de cette île enchanteresse, avant de nous plonger dans l'air conditionné... Et voilà ! Dans quelques heures nous serons à Santiago, puis un très long vol nous attend pour la découverte d'un nouveau continent : Océanie et Nouvelle-Zélande, à nous !
La tristesse de quitter l'île est compensée par l'expectative toujours excitante de nouveaux horizons, et surtout, surtout, le fait de savoir qu'en ce moment même, les parents d'Olivier sont en route... pour venir nous voir ! Mais ça, c'est une autre histoire...

 

Les petits détails du quotidien... 

 

Mangeons gaiement...

L'île de Pâques, malgré son nom évocateur, n'est guère riche en bons chocolats ! Guère riche en rien, en fait : dans ce lieu où seules quelques rares vaches paissent sur des prairies sèches, nos découvertes gastronomiques seront très limitées. Tout est importé, et tout est... très cher! Nous nous nourrirons donc essentiellement de pain, confiture et pâtes, hormis lors de la mémorable soirée « asado + pisco sour » avec Lucho. Mais promis, cette rubrique se remplira de nouveau avec les carnets d'Asie !

Les moments galère

Heu... aucun ? Cette île nous a vraiment offert des vacances de rêve, et avec ses jolies pistes et ses brises tièdes, nous n'avons pas vraiment trouvé de quoi nous plaindre ! Et c'est tant mieux !

Les meilleurs moments
Heu... tous ? S'il faut vraiment faire un « Best Of »...
  • La découverte des premiers Moaïs
  • Le coucher du soleil au Rano Raraku
  • Le lever de lune à Tongariki
  • Les pieds dans le sable blanc à Anakena
  • La gentillesse de Lucho et la mémorable soirée passée ensemble
  • L'inattendue rencontre de « la légende » Heinz !
  • Les bons moments passés avec Myriam et Laurent, et avec Guillaume et Juliette
  • La visite du trimaran de Bruce et Helen
  • (spécial Amanda) un liiiiiiivre !!!


 

L'île de Pâques restera une étape vraiment particulière et précieuse de notre voyage. Ici, le pédalage est presque oublié devant l'atmosphère unique, paisible et mystérieuse de cette île inoubliable. Des moments magiques, où le temps a suspendu son vol...